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La Comtesse d'Albany

Lettres inédites de Madame de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de

 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; "Néné" est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, le 23 juillet 1813

Il y a bien longtems que je n'ai eu de vos nouvelles, ma bien bonne amie : à la M[al]M[aison] Mme d'Arberg m'en demande toujours et surtout quand vous reviendrés. J'ai presqu'envie de toujours répondre : "Elle arrivera à la paix et voilà une prolongation d'armistice qui me la fait espérer. " Notre Charles est à Neumarck commissaire de l'empereur pour veiller à l'exécution de l'armistice. Il s'y ennuie à mourir, mais je pense que supporter l'ennui et apprendre à s'y soumettre est un achèvement d'éducation qui lui sera très bon. J'ai pris la liberté de lui mander que savoir s'ennuyer était la science la plus utile, la plus difficile à acquérir, et qui conservoit le mieux l'indépendance. Il m'a répondu "qu'en m'accordant pleinement ce grand principe, il m'assurait en même tems qu'il en fait un cours d'expérience analitique et pratique." Du reste, il me dit qu'il lit sept ou huit heures par jour et qu'il en a mal aux yeux, mais qu'il a pris un tel goût de lecture qu'il ne pourra plus s'en passer. Le voilà donc, ma très chère amie, au point que vous le désiriés. Il m'écrit même pour que je lui forme une petite bibliothèque de bons livres, point de luxe, mais ce qui est nécessaire à un commençant. Si vous étiés ici, vous m'aideriez à faire ce choix, et nous irions chez les libraires, voir même sur les quais. C'est sur les quais que commencent toutes mes collections. Savés-vous qu'à nous deux Charles cette collection commence à avoir un certain nom ? Du reste, vous ai-je mandé que Le Brun assure que le Saint Sebastien est un Paris Bordonne (sic) ? Qu'en pense M Fabre à qui je fais mille complimens. Savez-vous, Monsieur, que j'ai un Titien donné par la dame de Malmaison 5 pieds 1 pouce de large, 4 pieds de haut), un petit Garofalo, un Teniers, un Ostade, un Therburg, sans compter ceux que mon fils m'a envoyé ? En tout, dans mon appartement vingt-un tableaux de grands maîtres. Que dites-vous de cela, Monsieur ? Voilà, ma très chère, mes trésors que je désire bien vous faire voir. En attendant ce bienheureux moment j'envierai fort M Gal... qui au mois de septembre doit aller à Genève y trouver M Sis... (Galois, Sismondi) et tous les deux aller ensuite vous voir. Que j'aimerois à passer six semaines dans votre casa, surtout si la paix était faite et que nous fussions délivrées de toute inquiétude.

J'ai vu lundi dernier votre nièce Kleine et son petit enfant qui est superbe. Votre nièce Leobo était aussi à M[al]m[aison] plus jolie, plus éveillée que je ne puis vous le dire. Elle est charmante.

Qu'avez-vous dit du malheur affreux arrivé à cette pauvre petite Madame de Broc (Mme de Broc, née Auguké, soeur de Mme Ney et nièce de Mme Campan était la dame préférée de la reine Hortense. Elle périt dans la cascade de Grésy, où l'on ne retrouva que son cadavre. - cf Masson, Joséphine répudiée, p.202 -), sous les yeux de la reine Hortense ? Sa santé en a bien souffert, et je crois qu'elle en restera frappée toute sa vie. (L'émotion n'empêcha pas la reine Hortense de prolonger son séjour à Aix-les-Bains jusqu'au mois d'août.) Il semble qu'il y ait des fatalités que l'on ne peut fuir ; la reine vouloit prendre un autre but de promenade. C'est cette pauvre petite qui a insisté, supplié pour qu'on allât à cette cascade, et qui deux fois a fait changer l'ordre donné au piqueur. La Providence, diroit Mme de Sévigné, mais, comme je ne dirois pas si bien qu'elle, je m'arrête en vous assurant, ma très chère, très excellente amie, que vous êtes vivement regrettée à la casa et que vous y êtes parfaitement aimée.


[Le portefeuille de Mme d'Albany]
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