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La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
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lettre de Madame de Souza
à la comtesse d'Albany
le 7 novembre 1811
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Qu'il y a longtems que je vous
ai écrit, mon excellente amie ! Mais j'attendais toujours une
lettre de vous qui me dit où adresser les miennes. Enfin je risque
celle-ci, quitte à ce qu'elle soit perdue ; mais pour mon propre
plaisir, je vous aurai du moins dit que je vous aime de tout mon coeur,
et que j'attends le mois de may avec une impatience inexprimable. Je
viens d'avoir une catharre terrible dont je ne suis pas encore quitte.
Cependant je suis mieux, mais il règne des rhumes qui ne finissent
point, et cela me console de votre absence, car votre disposition aux
rhumes vous en auriez sûrement souffert.
Je plains cette pauvre Mme de Lucchesiny.
Il a été un tems où elle a été bien
mal pour moi : (Allusion à des brouilles et querelles inconnues.
La nervosité vraiment maladive de Mme Lucchesini (cf. les lettres
suivantes de son mari) les excusait sans doute assez pour mériter
l'indulgence de Madame de Souza.) elle le sait bien, si elle
veut être de bonne foi vis-à-vis d'elle même, mais
Dieu me préserve de souvenirs assez ameres pour ne point pardonner
à la douleur d'une mère qui va perdre son fils ! Que je
plains cette malheureuse femme, car quel chagrin peut approcher de celui-là
! Je vous assure que je suis fâchée d'avoir rencontré
une fois ce jeune homme, mais que ce même jour je le regardai
tristement, en pensant aux horribles fatigues qu'il allait éprouver,
et, en voyant sa jeune figure si pâle qui paroissoit à
peine formée, je le trouvais bien faible ; et si j'avais été
sa mère, j'aurais tremblée autant de la maladie que de
la crainte du canon. Il n'étoit pas plus en état de commencer
cette carrière que moi. Pauvre jeune homme ! et l'aîné
(Francesco Lucchesini ne s'occupait encore que de l'administration
des biens paternels. Il sera fréquemment question de lui dans
les lettres suivantes.) que fait-il ?
J'ai vu ici la reine de Naples
(Caroline Murat). Elle m'a dit avoir donné des
ordres que l'on vous montra son musée lorsque vous iriez à Naples.
[Monsieur Fabre, c'est à
vous que je m'adresse : avez-vous commencé le portrait de notre
amie ? Comment la représentez-vous ? avec des mains, avec des
pieds, ou jusqu'aux genoux ? donnez-lui cette expression de bonté,
et ne la laissez pas rêver, car alors elle prend un de ces airs
"à cent lieus de là" que je ne veux pas qu'elle
ait. Parlez-lui de ses amis, parlez-lui de la casa, enfin
donnez-la moi telle qu'elle est, quand elle me dit : "Bonjour
ma chère." Mon Dieu, que je serai contente quand
je vous reverrai ! Ce sera le portrait que je garderai comme son amitié pour la joie et le bonheur de ma vieillesse.]
Nous n'avons ici aucunes nouvelles
de société qui puissent vous intéresser. Tout est
de même que vous l'avez laissé. Néné se remplume,
mais il a moins de cheveux que jamais. (Amusant détail sur
le physique de l'aimable Néné !) Voilà,
Monsieur, tout ce que j'aperçois de plus clair. Ce qui l'est
encore plus, c'est le plaisir bien sincère que j'aurai à
vous revoir. Croyez que vous avez à la casa de vrais amis et
de véritables admirateurs de votre talent. Comptez-y à jamais.
Je reviens à vous, ma très
chère. Il y a ici un M Seymour qui m'a donné pour un petit
tableau (que l'on m'avait donné) une esquisse du Tintoret que
Laneuville m'a dit être superbe, et tout de suite
je l'ai fait mettre avec les effets de M Fabre, "car, dit le même
Laneuville, c'est un tableau d'artiste". Il est donc là
pour lui : je le lui donne par ces présentes comme si je fesois
mon testament. (Ce tableau de Tintoret n'est pas arrivé
comme le voulait Madame de Souza aux mains de Fabre : le catalogue du
musée Fabre n'enregistre du peintre vénitien qu'un portrait
de sénateur vénitien (n° 602), don de M Chaber, amateur
généreux et éclairé.) C'est un jugement
dernier et tous ces diables me font peur. Le père éternel
ne m'égaye guerre plus ; et vous ne savez pas combien je suis
heureuse de faire quelque chose qui le fasse sourire, et par conséquent
vous, qui êtes si disposée à sourire à toutes
les folies de votre amie Adèle.
Bertrand voit arriver l'hiver avec
peine. G... (Gallois) est juste comme vous l'avez laissé,
Mme Ch... toute aussi animée, ma soeur tout aussi calme, M de
S. (Monsieur de Souza) dans la plus profonde mélancolie, Charles riant de tout et le seul qui le fasse rire
: voilà ma vie.
Mon Dieu, que je serai aise de
vous revoir, d'aller me promener avec vous ! Votre penchant
(Joséphine ou Hortense) vient d'être bien
malade. Mais j'espère que cela sera un mal pour un bien, et il
paraît que l'humeur s'est déplacée de la poitrine
pour se jetter dans un lombago qui lui fait jetter les
hauts cris ; mais on ne meurt point d'un lombago, et, depuis qu'il la
tient, elle ne tousse plus. Cependant, elle est toujours d'une maigreur
affreuse. Dieu veuille la conserver, car c'est un ange. Adieu mon excellente
amie. Je vous aime de toute mon âme. Ecrivez-moi donc.
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
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