|
La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
|
|
lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, le 22 juillet 1811
|
|
Qu'il y a longtems que je ne vous
ai écrit, ma très bonne amie, mais les chaleurs m'ont
redonné un peu de mal au côté. J'en ai même
encore une sensation pénible en vous écrivant ; c'est
un foyer de chaleur, comme si j'avais là de l'huile bouillante
et mordante. Ajoutez-y que j'ai embarqué M Néné
pour les eaux de Bourbonne, qu'il ne s'en est pas trouvé très
bien, et que je lui ai rendu compte de toutes les consultations que
je fesois pour lui, et que cela m'entraînaît à des
lettres interminables. Dieu sait si je ne lui repetois par cent fois
les mêmes choses ; mais l'expérience a parlé plus
haut et mieux que moi ; il a cessé de boire les eaues qui échauffaient
sa poitrine, et il se borne à se baigner, se doucher, ce qui
fera du bien à son rhumatisme.
M de Lucchesini (Le célèbre
diplomate, ami et correspondant de Madame d'Albany) m'a dit
que vous ne vous trouviés pas bien des bains (A Bagni di
Lucca), et que vous alliés en prendre à la mer (A Livourne). Mon Dieu, ma très chère, que
je suis affligée que vous ne me soyés pas restée
: Tivoli vous suffisoit, et le petit Moreau en savait assez pour vous
guérir. Que cet été que je croyais passer si doucement
à me promener avec vous, me paroit long. Au surplus, tout le
monde vous désire ici, Mme votre soeur et Mme Klein m'ont dit
que l'empereur avoit demandé si le mausolé était
fini, et sur la réponse oui, il a eu la bonté d'ajouter
: "Mme d'Albany va donc bientôt nous revenir." Je suis
sûre que vous serés bien sensible à cette preuve
de son souvenir. (Madame de Souza se méprend quelque peu
sur le sentiment de Napoléon, et son amie dut être sensible
autrement qu'elle à cette "preuve du souvenir" impérial.) Pour moi, ma très chère, j'en ai pris ce qui est ma part
: ce serait l'extrême joie de vous revoir.
Je vous remercie mille fois du
tableau que vous m'annoncez ; je le garderai toute ma vie, avec cet
attachement de coeur que je mets à tout ce qui me vient de vous.
Que de fois je regarde cette belle tête de M Fabre, et je pense
avec attendrissement à cette ligne écrite dessous ce tableau
et bien mieux gravée encore dans mon coeur.
Votre entrainnement, car j'ose prétendre qu'il n'y a que moi
qui sois votre passion, votre entrainnement est aux eaux
d'Aix, bien affoiblie, bien maigre, et toujours excellente.
Mme Visconti (La célèbre
amie de Berthier, dont Gérard a fait un si beau portrait) est revenue de Bourbonne : il y a un peu de mieux à la jambe,
mais rien au bras. Le prince de N. (Le maréchal Berthier,
prince de Neuchâtel) a des soins d'elle qui me pénètre
d'attendrissement : jamais je n'ai rien vu de si doux, de si parfait.
En le voyant, on demande à Dieu d'avoir sur la fin de sa vie
un ami semblable. Je défie que l'on puisse en désirer
un meilleur.
La casa vous honore, vous chérit,
et me demande d'être rappellée à votre souvenir.
Le duc de Bassano a achetté
cette jolie maison de Meudon, où M Fabre avoit attrapé
une si jolie attaque de goute. Il l'a achetée 80.000 francs ;
ce n'est assurément pas cher.
Mme de Genlis a fait paraître
aujourd'huy une petite brochure, où elle s'évertue à
démontrer qu'elle a eu raison d'attaquer Fénelon, Mmes
Cotin et Necker. Mais elle n'y prouve pas trop que ce fût à elle de les attaquer.
Pour moi, ma très chère,
je ne lis ni n'écris quoique ce soit ; je vivotte dans la plus
insigne paresse ; j'ai mal aux yeux, et je raccomode le plus gros linge
de ma maison, car même les élégans ouvrages de femmes
ne me conviennent plus. Si vous me voyez ourler et marquer des serviettes
qui ressemblent assez à des torchons, vous en ririez : mais cela
m'occupe et repose ma vüe.
J'ai gagné ce joli petit
mal d'yeux à lire au stéréotype. (En corrigeant
les fameuses épreuves d'Eugénie et Mathilde.)
On me dit que cela passera.
Adieu ma bonne, mon excellente
amie, je vous aime de tout, tout ce coeur que vous connaissez et qui
vous appartiendra jusqu'à mon dernier jour.
Ménagez-vous bien et donnez-moi
de vos nouvelles. Si vous saviez le cri de joie que je fais en voyant
arriver vos lettres ! Que sera-ce quand je vous tiendrai, que je vous
embrasserai, que je vous repetterai mille fois combien je vous aime.
Mille et mille complimens à M Fabre : que je le remercie de s'être
occupé du Carlo ! Je l'attends avec impatience.
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
|