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La Comtesse d'Albany
Lettres inédites de Madame
de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824,
par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de
Les annotations
(en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les
passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier
; "Néné" est le surnom que Mme de
Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils
; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits
en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.
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lettre de Charles de Flahaut
et Madame de Souza à la comtesse d'Albany
Paris, le 15 avril 1811
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Quoique mon
tort ne vienne que de l'embarras de ne vous avoir pas répondu
tout de suite, ainsi que je le devois, Madame la comtesse, je ne chercherai
pas à m'excuser ; mais je vous demanderai d'avoir pour Charles
la même indulgence et la même bonté que vous aviez
pour Néné. Si nos défauts viennent de notre éducation,
ce n'est pas à ceux qui nous ont gâté à être
sévères envers nous. Une mère est toujours mère,
et c'est à ce titre que je vous prie de me pardonner, d'oublier
mon tort et de croire que je n'en aurai plus de pareils. Ma mère
nous dit que vous ne voulez plus revenir. Notre casa en serait
bien fâchée. Ne prenez pas cette résolution, revenez-nous,
et croyez que votre retour sera un jour de fête bien célébré
chez nous. D'ailleurs, si M Fabre ne revient pas, je ne sais ce que
nous deviendrons avec notre passion de peinture. Nous achetons à
qui mieux mieux ; et s'il n'approuve pas à son retour la qualité,
la quantité lui fermera la bouche. Soyez assez bonne pour lui
faire bien mes complimens et lui parler de mon attachement. Je vous
remercie bien, Madame la comtesse, d'avoir été assez bonne
pour m'avoir grondé. Sans cela je n'aurois jamais eu la hardiesse
de vous écrire. Il me sembloit que j'en avois perdu le droit.
Je vous remercie de me l'avoir rendu. Grondez-moi toujours quand je
me conduis mal. Je ne sais pas si je me corrigerai jamais, mais ce dont
je puis bien vous assurer, Madame, c'est que je serai toujours digne
de votre intérêt par mon sincère, tendre et respectueux
attachement.
Charles.
Non, ma chère amie, je ne
me trompe jamais de date quand je vous écris, et il faut que
quelqu'un s'amuse à garder mes lettres. Mais revenons à
ce qui m'intéresse plus que tout au monde.
Comment pouvez-vous penser à
ne plus revenir ? Ah, ma chère, si vous saviez comme vous m'avés
fait mal au côté par cette seule idée ! Pendant
votre séjour ici j'avais tout oublié pour vous, la meilleure
des femmes et la plus parfaite amie. Je fesois mille projets pour que
nous nous vissions tous les jours, et resserrer plus encore notre petit
cercle. Ma chère, où serez-vous mieux aimée que
par moi ! Venez, venez, je vous en conjure. Nulle part on ne peut vivre
plus suivant ses goûts ou d'après sa fortune qu'à Paris. Nulle part vous ne toucherez si facilement votre fortune.
Le moment de la crise est passé. Tout se raffermit, les banqueroutes
cessent, les correspondances se rétablissent. Venez, venez, je
vous en conjure, vous l'avez promis. Ah ! si vous ne venés
pas, je suis sûre que nous ne nous verrons plus.
En grâce, point de paresse,
pas même de raison. Ma très bone amie, il n'y a plus que
la vie intérieure, que l'affection pour ses amis. Vous n'avez
point d'enfants pour qui vous vouliez augmenter votre fortune : venez
donc ici. Monsieur Fabre, je vous en conjure, venez et déterminez-la
à venir. Ma bonne amie, où trouverez-vous le coeur et
l'affection de votre Adèle ? Aujourd'huy que je vous écris,
j'ai assez mal au côté. Si vous ne venez pas, cela me jettera
dans des idées noires que je ne puis vous exprimer. Vous verrez
que jamais nous ne nous retrouverons.
Et puis, je vous le die en toute
conscience, c'est ici que vous pouvez être le plu assuré de toucher exactement vos revenus.
Ecrivez-moi, je vous en conjure,
que vous allez me tenir votre parole et que vous reviendrez. Nous ferons
maison commune, si vous voulez. Je vous offre toujours ce premier étage.
Il est aussi grand que l'appartement que vous occupiez, et vous ne songerez
à louer une maison qu'au printemps. Vous le louerez, si votre
fierté le veut. Et vous ne me payerez que lorsque vos fermiers
ne vous feront plus autant perdre sur votre revenu. Nous ferons maison
commune et nous serons ensemble. Vous aurez pour vous une antichambre,
un sallon, une chambre à coucher et des cabinets au midi. M Fabre
aura un grand attelier au nord et une petite chambre à coucher
; restera sur le même pallier trois grandes chambres que vous
partagerez, car vous ne l'avez pas bien vu. Nous vivrons ensemble. Nous
économiserons ou nous ferons bombance comme vous l'entendrés.
Vous serés la maîtresse de toutes les habitudes de la vie
; mais venés.
Venés, ma bonne amie. Ces
dix mille volumes resteront en caisse six mois, pour vous donner le
tems de vous retourner, et pendant ce tems-là nous jouirons de
cette bonne amitié que vous ne trouverés nulle part comme
à la casa.
Je suis bien fâchée
que vous ayés encore perdu un ami, mais c'est un motif de plus
pour quitter cette Italie qui n'est plus bonne pour vous.
Voici enfin
un mot de Néné ; il était dans la mauvaise honte,
et n'osoit plus vous écrire. cependant, personne au monde ne
vous aime et ne vous réverre plus que lui.
[La casa a getté les hauts
cris quand je lui ai dit votre mauvaise pensée. Tous sont à
vos pieds pour résister à cette apparence de raison qui
fait que l'on sacrifie toute sa vie.] Mille et mille complimens de nous
tous à M Fabre. Nous touchons au 21. Comme je l'ai passé
heureusement l'année dernière. Cette année vous
n'y serés plus pour me donner des glaces. [Ah ! ma bonne amie,
revenez, je vous en conjure ! Vous serez mieux ici qu'où vous
êtes sous tous les rapports. ]
[Monsieur Fabre, revenez-nous,
ramenez-la ; vous ne savez pas combien nous la soignerons, et comme
nous vous soignerons aussi, d'abord par estime pour vous, mais aussi
parce que vous nous la ramènerez, et que par là vous m'aurez
fait le plus grand plaisir que je puisse avoir en ce monde. Répondez-moi
vous même et rassurez-moi. Avez-vous lu Eugénie et
Mathilde ? Avez-vous pleuré ? Cela me dira plus qu'aucun
éloge.]
[Mon Dieu, mon Dieu, quelle vilaine
pensée elle a eu là : je voudrois écrire tout autour
de sa chambre : 1er de juin. Vous l'avez promis. Lisez
bien attentivement ma lettre à elle, et vous verrez qu'elle peut
et doit revenir.]
Mille complimens de la casa et tous les habitués ; mais de moi avant tous les autres. Oh
! J'espère que vous reviendrez. Hors le soleil, vous serez tous
deux mieux ici, je puis vous l'assurer.]
[Le portefeuille de Mme d'Albany]
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