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La Comtesse d'Albany

Lettres inédites de Madame de Souza (et d'autres...)
(Le Portefeuille de la comtesse d'Albany : 1806-1824, par Léon-G. Pélissier)
avec l'autorisation de

 Les annotations (en italique) sont de Léon-G. Pélissier ; Les passages [entre crochets] sont dans Saint-René Taillandier ; "Néné" est le surnom que Mme de Souza a donné à Charles de Flahaut, son fils ; les sujets concernant Charles de Flahaut sont reproduits en rouge ; l'orthographe ancienne est respectée.

 lettre de Madame de Souza à la comtesse d'Albany
le 7 janvier 1811


Je viens encore d'être malade, ma bonne amie, mais c'était une fièvre de rume et rien du côté, aussi ai-je reçu ces petits maux comme si c'était un nuage d'été. Je n'ai pas même trouvé qu'il me fût permis de m'en plaindre. Et me voilà toute gaie à vous écrire. J'ai eu bien du plaisir et un petit chagrin. Je commence par le premier.

Imaginés que la veille du jour de l'an m'arrive une caisse de Florence. On me fait payer quinze francs de port. Je l'ouvre et c'était empaquetté pour aller en enfer ; enfin je trouve un petit tableau très effacé ; mais ne connaissant que vous à Florence, que vous qui m'aimiez, je me dis : "C'est de ma chère amie, qu'elle est bonne, qu'elle est parfaite !" Je regardais cependant le tableau (c'était une esquisse de la toilette de Venus) et je me disois : "D'elle, ce doit être beau. Sans cela !" M Gallois était présent et dit aussi : "Ce ne peut être qu'excellent, puisque c'est d'elle !" - "Oh, sûrement c'est très beau !" reprens-je d'un air docteur. Charles arrive qui s'écrie : "Ah ! quelle croûte !" Me voilà consternée, voulant lui imposer et qu'il respectât comme moi tout ce qui vient de ma chère amie. Je lui dis qu'il ne s'y connoit pas, que tous ces bras sont beaux, que toutes ces figures sont séparées, quoiqu'il n'y aie aucune ombre... qu'il y a du vaporeux... Enfin Dieu sait tous les grands mots dont je me sers pour le ranger. Il m'écoute, paroit examiner attentivement, puis s'écrie : "C'est affreux !" Ma bonne amie, j'en tombe en convulsions. Arrive Laneuville, et M Charles le campe devant le tableau et lui dit : "Votre avis net, Monsieur ?" - "Madame, je suis obligé d'avouer que c'est une copie." - "Impossible, Monsieur ! Ma chère amie me donnerait une copie qu'elle me serait précieuse jusqu'à mon dernier jour, mais ni elle ni M Fabre ne peuvent s'y tromper." - "Cependant, Madame, j'oserais l'affirmer". Alors Charles triomphant s'écrie : "Ma mère a raison, monsieur ! c'est qu'il y a un air, un vaporeux dans ce tableau, puis il se frotte les mains et danse en chantant : "C'est une croûte." Ma chère amie, je me trouble, je commence mes exortations en anglais : "Charles, Charles, peux-tu parler aussi légèremment d'un souvenir de la meilleure des femmes, de la plus parfaite amie, d'une personne si respectable !" Il se moque de moi, dit qu'il vous le dirait à vous-même. Je m'approche de ce coquin de Laneuville, tremblante comme la feuille : "Monsieur, lui dis-je, j'espère que vous garderez le secret sur les inconsidérations de mon fils". Il a l'effronterie de me prier de ne point dire à M Fabre qu'il a déclaré que c'étoit une copie, et ils s'en vont ensemble.

Je reste, ma chère amie, le coeur serré jusqu'aux larmes : "Ah ! quelle horreur, me disais-je ! traiter ainsi le souvenir de mon amie." Enfin Charles revient, riant à se pâmer et c'était lui qui avait fait arranger cette boîre par ce coqin de Laneville, - de la toile grasse, enfin tout ce qui devait m'aveugler, me prouver que cela venait de Florence.

Actuellement il se moque et dit que j'ai trouvé une croûte superbe. Ah ! qu'il connaît peu mon coeur. Vous me donneriez un coup de poing que je dirais que c'est une caresse ; une croûte, que j'affirmerois que c'est leur ignorance qui les empêche de juger. Moi ! abandonner un cheveux, une ombre quand il est question d'une amie ! Vous me connoissez : ainsi vous jugés ce que j'ai souffert.

Voilà le tour de Néné : grondez-le, mais aimez-le, quoique tous les jours il dise qu'il vous écrira, et qu'il est un misérable de ne l'avoir pas fait encore.

Ensuite venons à ce qi m'a fait de la peine : c'est qu'une personne considérable (Eugène de Beauharnais) m'a envoyé de fort loin un tableau du Titien, quatre figures (elle m'a défendu de le nommer, ainsi ne la devinnez même pas), qu'un voyageur s'en est chargé et me l'a apporté cassé en deux. Il y a-t-il du remède ? M Fabre me conseille-t-il de m'adresser au restaurateur du museum ou de l'attendre ? Alors, où faut-il le placer, car je ne puis l'accrocher nulle part. Il est cassé partagé en deux dans toute sa largeur.

Enfin je suis bien empetrée avec ma passion de tableau que vous m'avez inoculée, ma très chère, et qu'il m'a inspiré.

Adieu, ma bonne, mon excellente amie, que je désire les beaux jours qui vous ramèneront. Je vous embrasse de toute mon âme.

N'ayez aucune inquiétude sur votre revenu : vous le toucherez fort exactement.

Mille complimens à M Fabre. Que je voudrois le tenir ici une demie heure pour me dire si j'ai une belle chose comme on me l'affirme, dans ce Titien (Le goût de Mme de Souza ne paraît pas avoir été éclairé ni très sûr de soi). Du reste, je ne l'ai montré à personne, car s'il peut être réparé, je ne veux pas que l'on sache qu'il a été cassé.

Encore amitié pour la vie !


[Le portefeuille de Mme d'Albany]
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