Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
18 mai 1823

Je suis toute épouffée de votre lettre du 7, mon cher fils. Quel est l'écran que vous dites attendre de moi ? Je vous en ai fait un dont vous m'avez remercié dans le temps, et jamais vous n'avez témoigné le désir d'en avoir un autre, sans quoi par suite de mon ancienne faiblesse pour vos moindres fantaisies, il serait déjà fini, et dans vos armoires. Dites-moi donc s'il vous en faut un second, alors vous payerez les fleurs , et je ferai le fond, ce qui me paraît fort honnête. Je veux dire poli et attentif.
Ce que vous nous dites de Louis en Angleterren'est point, car papa en a eu une lettre du 2 mai datée du quartier général de M. le duc d'Angoulême. C'est M. de Bourmont qui l'a envoyée à sa femme. Il allait repartir pour rejoindre le d'Amarante ; pauvre papa se désole de tout cela, et il s'indigne de le voir second de ce d'Amarante en discorde civile. Il faut être le premier ou le dernier, ce qui est encore une manière d'être au 1er rang. Je cache à ce pauvre père tout ce qui peut l'affliger, et cependant il ne dort ni jours ni nuits, il se représente sans cesse les périls de son fils ; puis il passe à la situation de sa belle-fille. Mme de Linhares et moi nous lui cachons que Thérèse est grosse, et si faible, si souffrante, que pour aller de Matteus à Porto , elle a été si fatiguée qu'elle a été faire le tour du monde. Que deviendra-t-elle s'il faut qu'elle aille à ce couvent qui est près de Coimbre (?) ? Cependant je voudrais déjà qu'elle y fût, car on dit que l'insurrection du nord est plus ardente que jamais ; on parle aussi d'un mouvement à Lisbonne parce que les Cortès ont fait vendre publiquement l'argenterie des églises. Enfin tout cela est bien effrayant. Voltaire, qui riait de tout, disait qu'il n'y avait pas de guerre plus incivile que la guerre civile, mais je sais, par tout ce que m'a raconté en Normandie des troubles de la Vendée, qu'il n'y en n'a pas de plus cruelles. C'étaient de vrais cannibales de part et d'autres. Du reste c'est l'histoire de tous les temps.

On annonce aujourd'hui la destitution de Rego, pour n'avoir pas détruit le d'Amarante, ce qu'on prétend qu'il pouvait faire et notre Roi qui est un vrai bijou de roi constitutionnel, regarde par la fenêtre comment toute cette fusée se démêlera, tenant ses bras ouverts pour embrasser le vainqueur et la main prête à signer tout ce qu'on voudra contre ... La figure de papa est si bouleversée que ... crois voir le malheur de Louis écrit en ... M. de ... est mort des suites de son opération. On dit M. de Talleyrand malade mais sans aucun danger. Comme sa nièce l'est en même temps, je crois qu'il y a dans tout cela des mécomptes d'ambition. Je n'ai pas encore reçu la robe de Mme Muron, mais je lui ai annoncée en lui témoignant sans regret qu'elle ne fut pas arrivée à temps. J'ai envoyé la robe de Mme Henry à M. Neumann avec l'adresse ci-jointe qu'elle avait donnée à Mme Henry, Charter House London ; le paquet est peut-être encore chez M. Neumann. Celui du rocher avec l'adresse de sa main a été envoyé par M. de Palhen ; il n'est plus ici, sans quoi je réclamerais le paquet de ce pauvre homme mais comme cette robe était fort ordinaire, je compte sur votre générosité pour la lui rendre si le paquet ne se retrouve pas ; il est probablement chez la comtesse de Lieven.
J'embrasse mon fils, Lady Keith, et les trois petites, de tout mon coeur. Lady Will. R. est ici, je l'ai trouvée bien changée. J'imagine qu'elle en dit autant de moi. Si elle en parle, un lustre (?) de plus fait un grand effet à tout âge.
Dans quel pays perdu vivez-vous, pour ne pas savoir que ce pauvre ... a eu deux attaques affreuses d'apoplexie. Dans la dernière on l'a cru mort ; il est toujours bien mal et sa soeur qui l'a veillé 28 nuits de suite, est au désespoir. C'était dans tous nos journaux. On l'a soigné 7 ou 8 fois dans les 24 heures, mais on craint qu'il ne s'en ressente toujours. Quel malheur pour elle !

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dernière modification : 26 décembre 2019
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