Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
3 septembre 1820

J'ai reçu ta lettre du 29 hier mon cher enfant et elle m'a fait du bien. Je t'en remercie de toute mon âme. Ecris-moi, songe que chaque mot, chaque ligne me fait du bien, et que j'ai bien besoin d'être soutenue et consolée car toutes les peines m'accablent.
Ma soeur a enfin consenti à cette ponction, elle doit se faire après demain, mais elle veut que je sois présente, elle dit qu'elle sera courageuse si elle tient ma main, et je ne lui refuserai pas cette consolation. Les médecins ne m'abusent point, ils me disent qu'elle est inguérissable mais que cela pourra la faire vivre quelques mois de plus ; elle est si douce, si patiente, ne se plaignant jamais ; qu'Arthur dit qu'il n'a jamais vu une pareille malade.
Papa vient d'avoir un de ces rhumes et Moreau en a été inquiet, en tout les commencements d'hiver lui font toujours mal ; il est mieux mais très faible.
Après toutes ces douleurs, je te parlerai politique pour t'amuser, hélas, quand mes lettres sont gaies, c'est à force d'... comme lorsque j'écrivais mon Roman, ayant le coeur plein de larmes.
On est inquiet de Brest, on a imprudemment ordonné le désarmement de la garde nationale de cette ville, et ces bonnes têtes bretonnes ne veulent point consentir à une pareille ignominie. L'aigle Lauriston a été envoyé pour joindre la force du raisonnement à la magie de la persuasion. Où cette pauvre bête trouvera-t-il tout cela ? Les Rois peuvent-ils comme Dieu pouvoir donner le don des langues.
Je m'adresse à ma fille. Voici ma chère amie votre chaise remplie. J'espère qu'elle vous paraîtra moins laide. Donnez-moi des nouvelles d'Emilie, des vôtres ; et croyez qu'il y a au fond de mon coeur un attachement pour vous qui me rend digne d'être votre première et meilleure amie. Je vous embrasse tous deux de tout mon coeur. Ces Russes sont très propres ; laissez vos meubles couverts de leurs housses et ne font pas plus de bruit que des souris, je vous écrirai au 1er jour, mais aujourd'hui je suis si faible, si accablée moi-même que je ne puis dire un mot de plus.
Emilie dit-elle quelques mots de plus ? Marche-t-elle ? Parle-t-elle encore d'Augu ? Qu'elle est joile, gentille, gracieuse, intelligente auprès de ces masses de chairs qu'on promène dans le jardin et qu'on appelle des enfants. Je vous embrasse encore tous, et vous souhaite tous les bonheurs possibles.

M. le duc d'Orléans m'a écrit une lettre charmante sur mon Roman, papa l'a mise dans ses archives et le sévère M. de Marbois en est enchanté, vous conviendrez qu'après ce succès on peut être tranquille, car il n'a pas une figure romanesque. Lady Gwydir en a-t-elle été contente ? Mais ces pudiques amours sont de l'eau claire après le beau Roman que l'on plaide à la face d'Israël chez votre décente nation. Cette majesté me paraît une marie ... ; et ces juges, des brunets déguisés en bride oison. Quel scandale ! Et cet ambassadeur dénichant des témoins et rédigeant leurs instructions après s'être nourris l'esprit de quelques mauvais livres à l'usage de la rappée. Du reste, notre ami Fourié qui veut des mathématiques en tout, et qui rit de tout me disait : Je ne vois là aucune preuve. Et quant au fond de l'affaire, vu l'âge de la coupable, cela intéresse le Roi ... un peu ! et John Bull pas du tout ! Son esprit algébrique prétend qu'on dit toujours sur les femmes la moitié plus qu'on n'en sait, et les trois quarts moins que ce qu'il y a. En disant ces paroles, il croit défendre le beau sexe ! Et sa tête ronde se redresse d'un air gracieux. Tout le monde s'accorde ici à trouver inique le mode de procédure , même la sage Mme de Rumford ! Fourié prétend qu'il n'y a que les ignorants qui peuvent s'arrêter à cette danse de Mahomet, que c'est l'usage dans le pays et qu'il a vu des femmes qui aimaient mieux mourir que de laisser voir leur visage, qui assistaient très gravement à ces danses obscènes. Ce procès fera l'éternelle...

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dernière modification : 26 décembre 2019
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