Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
18 juillet 1819

e n'y puis pas tenir, il faut que je fasse mes radotages, grogner si tu veux ; comme tu es loin, je n'ai pas peur et ma chère fille m'excusera. Florimont m'a sous le secret, ainsi tu ne lui en parleras point quand tu le verras ici, car il te conserve une véritable amitié. Florimont m'a apporté une lettre de sa tante Mme de la Maison Neuve qui est avec l'ambassadeur à Londres. Cette tante lui mande que lord K. a demandé à son incomparable amie Mme d'Arblay ce qu'elle pensait de toi ? Que celle-ci a fait un éloge le plus grand de toi, et lui a surtout raconté ta rencontre à Joigny, ton Rule britannia dans ce puits etc... Il l'a écouté avec intérêt, avec attention, mais ne sachant comment se tenir (?) des éloges qu'elle faisait, et auquel il a dit qu'il croyait ; il a cependant ajouté : En comparant les époques, il devait être bien jeune. Mme d'Arblay a dit à Mme de la Maison Neuve qu'elle ne doutait point d'une prompte réconciliation, que son estimable amie lady K. n'en doutait pas non plus et y travaillait jour et nuit. Je crois qu'elle ne saurait mieux employer son temps. L'ambassadeur a ajouté à l'incomparable amie, que si lord K. te voyait 2 heures, il te préférerait à toute sa famille. Pendant que nous étions ainsi à bavarder, je lui ai dit : Secret pour secret ? Il a levé la main ; alors je lui ai demandé pourquoi son oncle ne t'avait point répondu lorsque tu lui avais fait part de la naissance d'Emilie ? Tu ne lui avais écrit que par estime pour son caractère personnel et que cette même estime avait dû te rendre pénible son silence. Florimont m'en a paru étonné, fâché, ne le concevant point, mais m'a ajouté que tu serais très content de son oncle qui était quelquefois un peu négligent sur les billets de parts.
A présent, pour couler à fond mon bavardage, je te ferais observer combien ta gentillesse dans ce puits de Joigny a laissé de trace et je te prie de bien dire à l'oncle qu'on recueille tout ce qu'on sème, et que toi qui n'as jamais fait que le bien et que du bien, tes plus grands ennemis n'ont jamais eu pour motif que (encore quelquefois, mais rarement) cette raideur, cette inflexibilité de caractère qui du reste n'a jamais porté que contre les gens heureux, ou pour mieux dire brillant de fortune et se pavanant de leur place et situation. Enfin que peut-être tu aurais été parfait et content de tout le monde, si une main plus ferme que la mienne t'avait assoupli.
A présent, je reviens à ma fille, non je n'y reviens pas encore.

Franklin dit : que la plus sûre manière de rendre amis les ennemis, c'est de toujours secondaire comme s'ils étaient bien intentionnés (sans se soucier, ... de leurs manières d'être, que nos procédés devraient être immuables et non relatifs) et que la meilleure manière de rendre les gens bons est de paraître convaincu qu'ils le sont réellement. Du reste, il n'y a jamais eu une âme plus noble, un caractère meilleur que tu l'as ; je dirai que l'on ne peut-être à la fois chêne et roseau, et tu avais bien raison lorsque tu me dis si joliment à 16 ans: Ma pauvre mère voudrait que ma barbe poussât blanche ; je ne te dis donc plus rien , mais ce puits de Joigny qui revient au bout de 20 ans m'a fait impression. Ah ! Que de gens à qui il t'aurait été facile de laisser dans la tête l'écho du puits de Joigny par un mot, un regard, un sourire, mais moi qui prêche à mon aise dans mon lit, l'ai-je fait souvent ? Hélas, non ! ainsi mon enfant, mon ours, je t'embrasse de toute mon âme.
Pour le coup, je reviens à vous ma chère fille, que je serai heureuse de vous voir ; votre établissement sera fait ici pour le 20 août, époque marquée par Charles. Mandez-moi donc si vous apportez Emilie dans son berceau ; que je suis aise qu'elle soit si bien et puis qu'elle aime à ce qu'on la fasse sauter, que ce ne soit pas du moins comme certaines nourrices anglaises qui secouent leurs enfants comme des rats qu'on veut tuer ; que ma petite soit amusée doucement et gentiment. Je vous embrasse, je vous aime de toute mon âme.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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