Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
14 juin 1819

e suis bien fâchée contre le dear Flemming à l'occasion de Dieudonné, donc je conçois que tu es fort embarrassé. Voilà comment la chose s'est passée. Le dear amiral était à dîner chez moi et paraissait aimer la cuisine française ; il me parla même du désir d'avoir un cuisinier française. Je lui dis que j'en avais un excellent à placer, que j'avais en quelque sorte arrêté pour toi, mais que comme l'intention de Marguerite était de venir ici immédiatement après ses couches, ce n'était pas la même de faire la dépense de ce voyage pour quelques jours. Hé bien, dit-il, donnez-le moi , je le garderai en Ecosse pour moi, jusqu'à ce qu'ils y reviennent toujours prêt à le céder à Charles quand il le réclamera mais pendant son absence il me sera utile. Cet arrangement me paraît très bon, lui répondis-je, je vous enverrai l'homme et vous vous arrangerez avec lui, mais Charles n'en a pas besoin avant son retour de France en Angleterre. Dieu donné alla chez l'amiral, fit tous ses arrangements avec lui, partit, arriva à Londres, et je n'en ai jamais entendu parler depuis. Il est à Flemming, et ne le prends pas si tu en est gêné car voilà les conditions sous lesquelles il est parti. Du reste, je crois qu'il sera très facile de le placer, car indépendamment qu'il est excellent cuisinier, il sait très bien faire la pâtisserie, les compotes et même les glaces. Voilà cher ami tout ce que je sais de cette affaire dont je conçois que tu as été ébaubi ou ébahi. Dans tes deux dernières lettres, tu ne me dis pas un mot d'Emilie. Faut-il toujours qu'elle prenne médecine, les bains froids du matin peuvent en lui donnant de la force la resserrer encore ; je te conte mes réflexions comme si je causais avec vous, mes chers enfants, bien libre à vous de n'y faire aucune attention et de me regarder comme une radoteuse, attribut naturel de la grande maternité !
Je reviens au cuisinier, je pense qu'il gênait, my dear, à Londres, qu'il te l'a envoyé pendant qu'il y reste encore et te le reprendra durant ton voyage à Paris et son séjour en Ecosse.
Florimont de La Tour Maubourg est arrivé ici, il a l'intention d'aller à Londres voir son oncle et j'espère qu'il y sera lorsque tu y passeras. Je suis étonnée que son oncle ne t'ait pas répondu, je crainsd'après cela qu'il n'ait qu'un mérite négatif , c'est le passage entre l'active méchanceté de d'Osmont, et la bienveillance d'un troisième.
Je ne sais rien de Barrelli, donnez m'en des nouvelles, ma chère fille, je suis inquiète d'eux. M. Burrell me paraissait tant aimer ses enfants !
Comment êtes-vous ma chère fille ? Le lait ne vous tourmente-t-il pas ? Avez-vous retrouvé toutes vos forces ? N'êtes-vous pas surprise de marcher et de n'être plus sur cette chaise-longue que vous devez regarder avec horreur ?
Dites-moi donc si ma petite paraît avoir vos yeux qui sont bien plus beaux que ceux du côté paternel. Lord Jersey me disait que vous aviez les plus beaux yeux jamais vus ; ceux de Charles et les miens sont très petits, les miens surtout. La petie ferait donc beaucoup mieux d'avoir les vôtres.
Excelmanns n'ose pas se montrer, sa femme est grosse de son cinquième enfant et dans l'état de santé où elle était, c'est vraiment criminel. D'ailleurs la pauvre petite prend ce mal en patience.

Les d'Alrympte vont partir dans deux jours pour Spa, les bords du Rhin, la Suisse, et l'hiver à Rome. Ce sont d'excellentes gens. Lady d'A... est beaucoup mieux depuis qu'elle voyage. M. Elphinstone était aussi bien mieux à Paris. Il y dormait mais oubliant que le mieux est l'ennemi du bien. Il est allé se faire trimballer en Suisse pour revenir, dit-il dans trois semaines ; jamais les voyages n'ont fait dormir et la fatigue n'est nullement bonne aux personnes faibles. Elle ne procure le sommeil qu'à ceux à qui la jeunesse ou les passions donnent un trop de force qu'il faut accabler. Mme Fergusson est attendue ici à la fin de la semaine... Frecki va mieux, il est venu me voir hier et n'avait pas de lunettes ; actuellement on traite ses paupières ; mais cependant malgré ce mieux, l'oeil gauche nest pas tout à fait guéri et on lui met toujours du perlinpinpin dans l'oeil. Quelle horrible maladie il a eu là, et quel miracle qu'il en soit quitte ou du moins à peu près.
Adieu mes chers enfants, quel bonheur de vous revoir : car, ma chère fille, vos lettres sont si aimables, si bonnes, que je crois vous connaître. Comme j'espère que vous m'aimerez comme je sens que je vous aime. Charles n'aura qu'à se bien tenir s'il veut avoir trop raison entre nous trois. Dites-lui bien qu'il ne sera que mon gendre.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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