Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
28 juillet 1818

D'abord avant de parler affaire il faut que je te dise mon indignation sur ce que le Nadaillac a deux garçons et que moi je ne suis pas grand' mère ! Le Roi en a envoyé complimenter M et Mme Descars qui se sont rengorgés, dit-on, comme si ce prodige venait de ... Après cela, je te dirai qu'un bruit souterrain se fait entendre et que voilà le ministère aux prises avec les ultras ; ceux-ci ne se regardent point du tout comme battus, quoique le Canuel et consorts soient arrêtés. On prétend que le ministère s'est trop pressé et qu'ils ont eu le temps de sauver leurs papiers de manière qu'il n'y aura aucune preuve contre eux ; alors certainement ils auront davantage.
Tu étais si jeune quand la Révolution a commencé, que peut-être tu ignorais que ce Canuel était l'aide de camp du rossignol le plus sanguinaire, que dans le Moniteur du temps le Canuel se vante d'avoir fait fusiller 600 vendéens ou émigrés sans jugement, que c'est Robespierre qui l'a fait lieutenant-général pour récompenser ses mérites et qu'enfin, c'est là l'homme de confiance des Princes. Il paraît démontré que c'est ce Canuel qui commandait à Lyon, qui envoyait des agitateurs à une troupe de paysans qui manquaient de pain et lorsque ces pauvres gens torturés par le besoin (la récolte ayant manqué l'année dernière) et qu'animés par les agents jettent quelques cris séditieux, Canuel les faisait prendre et pendre par d'autres agents qui venaient se vanter d'avoir déjoué de grandes conspirations. Ce qui est sûr, c'est que depuis qu'on l'a ôté de là, tout est tranquille. C'est le deux d'août que doit commencer le jugement de cette affaire de Lyon entre Canuel et Chabrol contre Saineville (?) et le colonel Fabvier ; celui-là très honnête homme m'a dit avoir toutes les preuves que ce Canuel était l'auteur de trous les troubles de Lyon, mais arrive sur ces entrefaites la conspiration des ultras et le Canuel est mis à la Conciergerie, le Vitrol destitué, et ce qui me le ferait croire un peu inquiet, c'est que sa femme a quitté la France.
On dit déjà dans le parti ministériel que les subalternes paieront pour tout, mais que les chefs ne seraient même point compromis car le Roi les regarde comme des amis imprudents et les libéraux comme des ennemis dangereux. Lors il ne veut frapper qu'à côté sur les ultras. En attendant, l'on nous annonce un mois d'août plein d'événements et je suis charmée que tu n'arrives qu'en septembre. Le fait est que les ultras sont à leurs derniers soupirs s'ils ne réussissent pas à faire ce qu'on appelle un coup pour empêcher les alliés de s'en aller et tâcher de se débarrasser du ministère. Il paraît certain ici que les Anglais et les Autrichiens voudraient que l'armée d'occupation restât encore deux ans, que M de Metternich surtout le désire, parce qu'il craint plus que le feu que le système constitutionnel et libéral ne s'établisse en France et ne gagne l'Italie. La Russie veut le départ des alliés, voilà où nous en sommes. M. de Case a manqué être assassiné dans son parc, dans sa maison de campagne près de Saint-Cloud, mais on cache cela beaucoup, et ce sera une de ces vérités qui passera pour un conte avant peu, car tout le monde a intérêt à le nier, sois-en sûr. Tout le le monde se ... Le ministère est justement dans la même position où se trouvait le Directoire au 18 Fructidor , qu'il faut prendre un parti. Gabriel me disait l'autre jour : Ce sera avant la fin du procès et il est tout à fait ministériel.

Palmella disait à Binda : Il faut une crise, il est impossible que cela dure comme cela. Enfin je suis bien contente que tu ne sois pas ici ; mais d'ici au 1er septembre ce sera assoupi, relaté au souvenir.
A présent, revenons à mes chaises. Je suis désolée parce que papa a fait ces grands rires en voyant que je t'envoyais un cerf ; il dit qu'en Portugal c'est un pronostic affreux, et moi qui n'y voyais qu'une chasse, je t'ai destiné ce joli présent ; jette-le par la fenêtre s'il te déplaît.
Ma chère fille, que je serai heureuse de vous voir ; ho oui ! j'espère que vous m'aimerez, du moins y ferai-je tout ce que je pourrai. Je commence à me faire vieille, je n'ai plus de bonheur ni de joie que votre bonheur et votre affection, ce peu d'année qui me reste, je vous le confie et à Charles pour les rendre heureuses. Mes enfants, je vous dirai comme les Religieuses disent à Dieu : Je remets mon âme entre vos mains.
On dit le fils aîné de Mme Muraes malade dans son lit depuis 16 mois, et qu'il ne peut pas en revenir. Je l'ai vu si enfant que cela m'attriste quoiqu'il s'annonçait pour être un assez mauvais sujet. L'on dit même qu'il avait déjà causé bien des chagrins à sa mère dont je n'ai d'ailleurs pas entendu parler depuis 1813.
Le mariage du duc de Guiche s'est fait très pompeusement. Le vieux Cranford n'a donné que cent mille cens argent comptant et rien promis du reste. C'est bien peu pour être le gendre de Mme Dorsay. Ce pauvre Binda est comme une fleur qui s'éteint, il est malheureux, n'a presque point d'espérance ; sa jeunesse est si pâle que cela fait peine à voir.
Adieu, adieu, que je suis heureuse de vous voir

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dernière modification : 26 décembre 2019
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