Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
20 mai 1818

Le bruit général, et qui paraît fondé est que M. de Talleyrand a été invité à s'en aller à la campagne, M. le duc de Bourbon ayant déclaré qu'il n'assisterait plutôt pas aux cérémonies funèbres de son père. Si M. de Tall... comme grand chambellan s'y trouvait, à cause de la part qu'il a eu à la mort du duc d'Enghien, comme ayant conseillé le meurtre et l'ayant motivé, justifié, vis-à-vis des puissances étrangères par des documents qui existent encore, on dit tout haut que cela finira par prier M. de Tall... d'aller terminer ses jours à Naples. Le fait est qu'il est parti précipitemment et beaucoup plus tôt qu'il ne comptait.
Il doit être satisfait, M. de Talleyrand ! car il n'y a pas de circonstances aujourd'hui où l'on ne rappelle quelques-uns de ses torts sous le gouvernement qu'il a trahi. Ses yeux ne peuvent rencontrer aucun regard où il ne voit des menaces ou des reproches. Il n'atteint le repos que lorsqu'il trouve le mépris. Ah ! Je plains cette âme (s'il a une âme) trompée dans ses espérances, blessée dans son orgueil ; lui qui disait ingénuement à Mme Cranford lorsqu'il a chassé sa femme en 1815. Je ne puis point garder Mme de Tall... chez moi ; à présent elle doit, avec la France, me considérer comme le cardinal de Richelieu. Il n'a pas vu qu'avec sa conduite révolutionnaire il n'avait que trois partis à prendre : Ne pas abandonner l'Empereur quoiqu'il en eut été offensé, mais il pouvait croire ou dire qu'il servait son pays en s'alliant à lui contre les étrangers, il se serait placé à une noble élévation en sacrifiant sa vengeance et conservant sa haine.
Ou de rétablir le Roi, mais de lui remettre fièrement sa couronne en se retirant des affaires : la cour étonnée, effrayée, se serait crue au bord d'un abime si la force du même bras ne le garantissait plus éloigné du ministère en 1814 ; il n'aurait été avisé d'aucune des inepties du gouvernement, et il n'y aurait eu qu'une voix pour crier qu'il avait su prévoir et empêcher le 20 mars. Son mérite se serait composé de toutes les fautes des autres et sans avoir eu à lutter contre des difficultés peut-être insurmontables, ou se serait persuadé qu'il aurait pu les vaincre toutes.

Un troisième parti, peu noble, mais qui du moins lui eut laissé de l'avenir, c'eut été de se renfermer dans son mécontentement, de rester neutre entre Napoléon et les étrangers : on ne lui aurait reconnu ni amour de sa patrie, ni force d'âme, ni élévation de caractère, mais enfin on ne lui eut pas vu d'intrigues pour servir ses intérêts, de réserve pour satisfaire ses haines, d'oubli d'orgueil national ni d'abandon de son pays ; son esprit, son habileté, dans les affaires seraient restés entiers et dans les révolutions quand la route ouverte n'est ni sûre ni brillante , il n'y a de bienfait que ce qu'on ne fait pas mais on entraîne ma colère contre la bêtise d'un homme que les circonstances avaient assez bien servi pour le laisser maître de sa propre situation, de le placer à une hauteur où du reste il ne pouvait atteindre car il n'a pas une vue qui aille jusque là.
Mes enfants, mes chers enfants, vous avez très bien fait de me dire de ne pas aller voir M. de C. .. car il m'avait été impossible de ne pas ergoter, argumenter , s'il m'avait dit quelques-unes des lâchetés dont Alexandre m'a saluée, j'aurais pu très bien gâter tes affaires , et je pense que si les d'Osmont te refusait un passeport, il faudrait écrire à papa, comme si tu avais l'habitude de lui écrire tous les jours, pour lui mander les faits, et armé de ta lettre, il irait voir M. de Richelieu avec lequel il est très bien, il ira même voir M. de Case et moi je serai dans le plus grand ravissement de vous voir, de vous attendre mes chers enfants que j'aime et embrasse de toutes les forces de mon âme.
Ma chère fille, parlez-moi de votre santé, de votre aiguille, de vos bains de mer que les médecins recommandent fort ici. Lord W. qui est arrivé dit qu'il a reçu une lettre de Charles qui lui annonce sa prochaine arrivée à Londres. La par... que je désire est vraiment pour les draps du moins quatre paires, je désirerais deux autres un peu plus fines.
Le 1er juin, les ouvriers vont être dans la maison pour peindre et arranger, mais j'aimerais mieux vous laisser mon appartement et me caser dans le petit lit de l'alcôve, jusqu'à ce que vous ayez décidé vous-mêmes ce que vous voulez ordonner.
Je vous embrasse encore de toute mon âme.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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