Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
3 août 1817

Mon bien cher Charles, j'ai reçu hier ta lettre sans date souivant ta louable coutume, mais elle n'en a pas été moins bien venue, car il y avait trois courriers que je n'en avais eu. Que la pensée de ton bonheur me console de ton absence ! Mais rien ne peut me rendre raisonnable sur ton silence parce que cette peine me vient de toi seul, et quand c'est ta paresse qui me prive de mon unique consolation dans ce temps qu'il me semble que si Dieu était juste ne serait pas compté dans ma vie. Ah ! mon enfant, quel cri de douleur me serait échappé si à mon dernier adieu, si la dernière fois que je t'ai embrassé, j'avais prévu que je serai des années sans te revoir ! Actuellement, monsieur, il me faut un détail très circonstancié de votre maison de campagne, un dessin du jardin, un mot des voisins, un compte de la distribution de vos journées ; que je puisse me dire à tout moment : mes enfants déjeunent, dînent, se promènent, montent à cheval, enfin que je vive un peu avec vous. Moi ! tu sais où me prendre, ma vie est si uniforme qu'il ne faut que te rappeler pour prévoir ; mais il me faut tant de détails que je veux savoir jusqu'à la manière dont les meubles sont placés et à leurs couleurs .
Il faut t'avouer que j'ai perdu l'adresse du négiociant à Calais où il faut t'adresser tes lampes ; renvoie-la en grosse vitesse.
Lors de l'affaire de Nonore, j'ai brûlé beaucoup de papiers, et il faut que cette lettre m'ait échappée, quoique j'ai gardé avec soin tout ton écriture. C'est mon bonheur que de relire tes lettres. Enfin renvoie-moi cette adresse car les lampes sont prêtes et fort jolies.
Lord Jersey a passé la soirée hier chez moi, nous étions seuls et nous avons causé, nous nous entendons très bien , il me paraît avoir une véritable amitié pour toi et une grande estime. Lady Jersey était chez lord Marley dont le fils de sa première femme a un vaisseau cassé dans la poitrine et est fort mal. Nous avons parlé de lord K. J'ai pris la contenance et même le son de voix que tu m'as prescrits pour plaindre les préjugés des nations, et je n'ai témoigné ni désir ni inquiétude pour les suites de cette haine. Du reste je n'en parlerai plus que pour répondre à ceux qui m'en parleront et j'éviterai même cette conversation tant que je le pourrai. Je vois pas mal ici une lady Elisabelle Vernon qui me paraît charmante, mais ce qui l'est plus que tout pour mes enfants et pour moi c'est Sir Hugh Hamilton et sa femme. Il est impossible d'être mieux, et le mari et la femme ont dit qu'ils chercheraient lord K. pour lui parler de moi et de toi suivant nos mérites.
Adieu cher ami de mon coeur, je vais m'adresser à ma fille.
Je vous prie my dearest friend de faire une belle révérence à votre mari de bien l'embrasser et le féliciter car dans sa dernière lettre il y avait une faute de français ! Oui, une véritable traduction construction anglaise ce qui prouve qu'il pense dans cette langue. Mon mari en a été charmé. Moi j'en ai souri mais ce rire du sage qui se voit et ne s'entend pas car je ne veux point qu'il oublie le français, seulement qu'il le conserve comme la langue maternelle.
Je suis bien contente que vous ayez reçu les robes et que vous en ayez été contente. Je vous prie cependant de ne porter la jeanne que le jour car cette couleur paraissant blanche à la lumière, elle aurait un peu l'air tricolore, ce qui n'est point à la mode chez vous. Je vais me mettre en course pour vos bonnets qui étaient élégants et charmants et qui coiffent peut-être quelques dames douanières.
Dès qu'il partira un courrier portugais , je vous enverrai des mouchoirs brodés et des gants. Charles a bien raison : disposez de moi comme d'une chose à vous, dites-vous bien, répétez-vous que mon plus grand désir est de vous plaire et qu'à ma dernière heure vous me regrettiez comme une vraie mère et la plus tendre amie. Je désirerais bien être avec vous, mais j'espère que l'hiver prochain j'irai vous faire une visite si le séjour de la France n'est pas encore favorable à la santé de Charles. Permettez-moi de vous embrasser, de vous bénir, et de vous offrir les tendres hommages de mon mari. J'ai envoyé votre lettre à lady Marley. Nous attendons ici le Roi de Prusse .
Je vous prie d'ordonner à Charles de m'écrire tous les courriers un petit mot, c'est ma seule consolation car son absence m'est bien sensible, une lettre de vous ou de lui me ravive jusqu'au prochain courrier et je n'ai que cette seule joie au monde.
Adieu encore ma fille, ma chère fille. God bless you.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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