Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
13 mars 1817

Que tu serais en colère contre notre maison mon bien cher ami, la Seine est tellement débordée qu'il y a de l'eau dans mes caves jusqu'à la hauteur des fenêtres qui donnent sur la rue et dans le jardin jusqu'auprès des saules. Ce qu'il y a de pire, c'est que cette eau a une odeur fétide qui fait mal au coeur ; du reste tout le quartier est dans la même situation ; il n'y a qu'Auguste qui en est charmé ; il saute, il rit en voyant la rivière dans le jardin. Il a demandé à papa de lui acheter un bateau pour aller dans le jardin , et papa s'y étant refusé, il m'a dit : Si mon ami Charles était ici, je suis bien sûr qu'il m'en donnerait un. Il lui est resté dans la tête que tu lui donnerais tout ce qu'il voudrait.
Toutes mes violettes étaient en boutons, elles seront pourries, enfin c'est une désolation. Toutes les plaines autour de Paris sont sous l'eau.
C'est demain la poste, aurai-je une lettre de toi ? Voilà ma seule pensée, mon seul désir ; après qu'un courrier m'a manqué, je saute d'un jour à l'autre comme une aiguille de montre, d'une heure à celle qui suit, l'intervalle ne m'est rien.
M. de Vintimille est mort, cela t'est bien égal, mais il faut te tenir au courant. J'ai lu l'Edimbourg Review avec ...
[une ligne manquante]
... prête le livre que M. G. lui a envoyé par le frère de M. Horner. Il fait un tapage terrible à Paris parmi les diplomates.
La rivière a monté de deux pieds hier dans la journée. J'ai une certaine frayeur que cette quantité d'eau ne mine les fondations de notre maison ; Dethan(?) dit que non, mais le petit pavillon où est ma chambre me paraît déjà affaissé ; se noyer dans de l'eau claire ne me semble qu'un bain un peu froid, mais tomber dans un égout serait une mort affreuse, ma propreté s'en offense.
Je laisse la ma lettre et la finirai tantôt ; à présent, je ne pouvais te parler que d'inondation et signaler d'avoir été trois courriers sans lettres de toi ! Toutes mes provisions sont perdues, farine, pommes de terre, et puis quand l'eau sera retirée, que de bouteilles cassées à la cave, c'est vraiment désolant ! Papa prend cela plus courageusement que je ne l'aurais été ; les crues d'eau sont terribles, il n'y a qu'à regarder venir le malheur, au moins le feu on travaille à l'eteindre.
Rien de nouveau depuis ce matin, sinon un noble bas breton qui me disait fièrement il y a une heure : madame, on nous excuse en province, le peuple ne veut plus de noble à la fin ...
[une ligne manquante]
... la Mayenne il y a 8 jours, les paysans disaient à mes gens : c'est un truand que votre maître, il s'en va parce que nous allons le jeter tous à l'eau. Je crois cela un peu exagéré, mais il se remuait sur son fauteuil comme si lui aussi voulait tout tuer.
Nonore est dans les plus belles espérances pour le procès qu'Etienne Gautier va suivre. Enfin je vois que ces pauvres gens auront de quoi vivre.
Adieu mon bien chéri ami, quand il plaira de croire que tes lettres sont ma seule consolation, tu m'écriras rien que deux lignes si cela t'ennuie. Je t'embrasse, je t'aime de toute mon âme . Depuis ce matin l'eau est arrivée à mon saule et pour juger la hauteur, c'est qu'au bas du jardin on n'aperçoit plus le haut du banc. Je te dis que nous croulerons dans l'égout et que j'en ai une peur affreuse.
Mille compliments à lord W.

retour à la correspondance de Mme de Souza-Flahaut



 

dernière modification : 26 décembre 2019
règles de confidentialité