Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
24 janvier 1816

Je me suis avisée hier qu'il pouvait t'être agréable d'avoir toutes les anecdotes dont je me souviendrai et qui sans cela serait perdu. Je te les enverrai à mesure que je les écrirai, et je les écrirai comme des souvenirs suivant qu'elles me reviendraient, mais du moins seront-elles parfaitement vraies.Tu devrais aussi bien écrire celles de campagnes, mais tu es un horrible paresseux . Crois-tu par exemple que sur tes vieux jours, ce séjour à Fontainebleau lors de la 1ère abdication ne serait pas une chose fort curieuse ? Ces conversations la nuit, que tu me mandais être si belles, si nobles, si soignées. Je te donnerai, moi, l'état de la France lorsqu'il est arrivé à Fréjus. Et même ses défauts si inquiétants pour l'Europe étaient encore une assurance de gloire pour les Français, enfin je suis persuadée, au train dont nous allons, que quand il ne sera plus, la France le regrettera et peut-être mettra-t-on pour épigraphe à son histoire les vers de papa.
"Whose sons shall blush their fathers were thy foes"
Quoiqu'il en soit, je vais m'amuser à écrire ce dont je me rappelle et je te l'écris comme tu ne liras qu' aux Holland et aux Grey, mais c'est tout.
... bizarre de jeunes gens qui composent l'état- major du duc de Wellington ; ils se sont avisés d'envoyer les billets d'invitation pour le concert donné par lui, chez lui, le jour de deuil du 21 janvier, ils se sont avisés d'envoyer ces billets sur du papier satiné entièrement couleur de rose. Tu juges le scandale ! Il est vrai qu'ils en ont envoyé de semblables pour le bal masqué qu'il doit donner vendredi. Au surplus, on demande des costumes de caractère, des dominos, mais les masques sont défendus. Sa grâce craint peut-être les petits propos badins des dames pures qui l'ont en horreur.
Le marquis de Coigny est mort. As-tu vu B. Constant à Londres ? Colbert (du L.) va y aller. Il doit même y être à présent.
"Nonore" (Mme de La Valette) est fort inquiète de son mari, voilà vingt jours qu'elle n'en a eu des nouvelles et comme il y a des rassemblements en Dauphiné, il est peut-être arrêté ou arrêtant. Le fait est qu'elle a , à Grenoble, son mari, une gouvernante un peu relevée (?) ses quatre petites filles dont on ne sait rien, ce qui la tourmente fort . Cependant, je ne la crois pas assez forte pour se jeter dans des aventures avec ses petites qui seraient à ...
Je lis dans la gazette du jour que le Prince Eugène a été nommé duc de Bavière et généralissime des troupes bavaroises.
Bien des gens disent : ma femme des papillons noirs.

J'aime beaucoup le duc de Richelieu que je n'ai jamais vu, il me laisse fort tranquille, mais je crains qu'il ne puisse rester ; avec beaucoup de peine, il avait créé une oppositon dans la Chambre , tout ce qui était constitutionnel sage, modéré, se réunissait dans un club rue St Honoré . Ils étaient déjà 130 décidés à soutenir le ministère et tous les jours leur nombre augmentait. M de Richelieu leur avait fait dire que le Roi ne consentirait point que l'on fît aucun amendement à la loi sur l'amnistie (d'après cette assurance, ils avaient voté pour la loi dans son intégrité) et voilà que le dernier jour, M de Richelieu admet le bannissement du régicide sans en prévenir ces 130 qui s'étaient donnés à lui ; aussi le club s'est-il dissous et les membres ont-ils déclaré qu'ils ne voulaient plus soutenir un ministère qui les abandonnait après les avoir compromis.
On prétend que M. de Tall.. a été plusieurs jours brouillé avec Mme de Roquepine et que Marie B. les a raccomodés. Je l'ignore, mais je crois bien qu'à sa dernière heure, il la maudira. Tous ses malheurs viennent de cette liaison.
Adieu mon cher, mon excellent ami, je t'aime avec ma tendresse que je ne puis t'exprimer. Je t'écrirai encore demain si j'ai quelque chose à te mander. Papa est faible, mais bien. La famille est à merveille. Je t'embrasse.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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