Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
22 janvier 1816

Je t'ai écrit avant-hier par lord William que tu auras, je pense, bien du plaisir à voir, il te dira que M. de Souza est mieux, mais je ne le pense pas. Hier au soir, il était fort souffrant. D'ailleurs il s'affaiblit, il s'attriste, enfin voilà, une cruelle année j'aspire à être aux beaux jours.
L'année ne recommencera qu'à l'anniversaire du mois de Mars.
Il y a eu l'autre jour une grande dispute entre Pozzo di Borgo et M. de Tall... sur l'article 7 de la loi d'amnistie, M. de Tall. le traitant d'article déshonorant pour le Roi et pour les ministres. Pozzo l'a défendu et ils se sont échauffés ; Pozzo a fini par dire : Il est bien facile de blâmer quand on n'est plus dans les affaires, mais ceux qui les conduisent savent seuls ce qui est nécessaire ou possible. Alors M. de T. s'est écrié que la mesure la plus sage qu'avait prise Napoléon avait été de ne jamais permettre qu'un Français réfugié en pays étranger vive ici comme agent diplomatique d'une puissance étrangère, sème le trouble ou la division dans le pays. On a voulu faire sentir à M. de Tall. qu'il s'échauffait trop : Ma foi, a-t-il répondu, ce qui est dit est dit. Tout Paris répète qu'il a l'ordre d'aller à Valençay ou à Naples, remercier le Roi de la terre qu'il lui a donnée. Le fait est qu'il est dans la plus grande disgrâce et qu'il s'exprime avec tant d'amertume que Mme de Coigny me disait l'autre jour : Vous n'avez pas lieu d'être contente eh bien ! vous n'oseriez point penser ce qu'il se permet de dire.
Un domestique a la livrée de D... est venu le 1er jour de l'an apporter chez Mme la duchesse d'Angoulême une boîte de la part du duc de D... (?) mais en priant madame de ne l'ouvrir que lorsqu'il serait arrivé. Quand il a paru, elle est venue au devant lui de l'air le plus gracieux le remercier d'avoir pensé aux étrennes. Il s'est défendu sous le respect qui ne lui permettrait pas d'oser prendre pareille liberté. Elle en a ri, a ouvert la boîte dans laquelle était un très joli baril de bois de sandal avec du cercle d'acier ; elle l'a encore ouvert et a été couverte de cervelle et de sang . Au fond de la première boîte était un petit papier sur lequel était écrit présent le plus agréable à madame puisse en sang lui suffire. Tout Paris se raconte cette dégoûtante histoire.
Le duc de Wellington a donné un grand concert samedi 20 janvier où l'on célébrait le deuil du 21 qui tombait le dimanche. Tous les spectacles, les maisons, les boutiques, et même les tripots, étaient fermés. Le duc avait 80 personnes toutes gaillardes, et il est resté jusqu'à 4 h du matin ; tous les Anglais étaient en goguette, mais il n'y avait pas un Français . C'est ce qui le rendait si gai. Le St.. en est indigné
Casimir est venu un jour nous faire une visite, il a demandé si tu dépensais beaucoup d'argent ?
Papa qui craint surtout que sa mauvaise réputation n'aille effleurer la tienne qui est si bonne, lui a dit que tu dépensais 200 louis par mois, et qu'encore tu ne pouvais avoir des chevaux. D'après cela, je crois qu'il ira à Bruxelles et j'en serai charmée.
Tu n'as pas d'idée comme son ton tranchant déplaît aux Anglais qui sont ici et comme il me choquait l'autre jour vis-à-vis de M. St... dont le son de voix est doux, de toutes les manière polies. Il avait réellement l'air d'un matamore.
Ecris-moi donc un peu plus de détails. Tes lettres ne me satisferaient pas venant de la maison voisine. Juge lorsqu'elles m'arrivent en ne disant rien ; au moins ne cachète pas celles que tu m'envoies pour ta cousine , peut-être trouverai-je le plus dans ta vie, et saurai-je où arrêter ma pensée sur toi.

L'almanach impérial de Vienne indique Marie-Louise archiduchesse d'Autriche impératrice. Le petit : archiduc d'Autriche, grand duc de Parme, cela déplaît fort ici.
On assure que la Chambre rejettera le budget et qu'alors le ministère sentira que nous aurons tout ce qu'il y a de plus enragés.
Dans ce cas, je me remettrai dans mon lit jusqu'après l'édition du Camoëns quand elle sera finie si l'on veut me mettre sur une raquette (?) et m'envoyer dans ta chambre, j'en serai flattée.
Toutes les dames portent des robes aux trois couleurs à Lyon, c'est peut-être pour cela qu'il y a dans cette ville dix mille personnes d'arrêtées .
Adieu, cher ami, je t'aime de toutes les forces de mon âme. Mille hommages à lady Holland , j'espère qu'elle trouvera sa robe jolie mais il faut du satin blanc dessous absolument.
Je t'embrasse. La famille se porte à merveille.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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