Existence du cabinet noir

De Persigny à S.M. l'Empereur

Le gouvernement déchu a toujours nié l'existence de ce cabinet noir où les lettres des particuliers étaient décachetées et lues. La lettre suivante de M.de Persigny prouve l'existence de ce cabinet qui avait, comme on l'a vu, pris connaissance de la lettre du général Ducrot au général Trochu.
Le cabinet s'inquiétait même des affaires de famille. La Commission a trouvé, par exemple, copie d'une lettre intime, adressée par Mme de Rémusat à M.de Rémusat.

Sire,

Permettez-moi d'adresser directement à Votre Majesté un exemplaire d'un ouvrage qui vient d'être publié par mes compatriotes du Forez et qui forme un recueil des principales choses que j'ai faites, dites ou écrites.
Je prends la liberté de faire quatre marques au livre. Si vous voulez bien lire trois courtes allocutions faites par moi dans mon pays, vous verrez dans quel esprit s'exerce l'influence que je puis avoir dans ma province. Je signale en outre un exposé succinct de mon système des Pyramides, qui résume, je crois, très-clairement toute la question.
Je n'ai pas provoqué cette publication. Elle a été préparée à mon insu, et ce n'est qu'au dernier moment qu'elle m'a été communiquée... Bavoux, le conseiller d'Etat, m'avait longuement sollicité de la faire faire dans un sentiment napoléonien, et n'avait pu triompher de mon indifférence. Mais aujourd'hui je ne suis pas fâché qu'elle ait été faite.
Sire, à cause de la question des titres, je n'ai pu vous dire mon impression sur la réduction de l'armée ; mais je ne crois pas qu'on ait fait faire depuis longtemps une faute plus grave à Votre Majesté. Quand on veut réduire l'armée et arrêter l'avancement dans tous les corps, on invoque de grandes considérations de politique européenne. Si l'armée se voit blessée dans ses intérêts, elle est du moins forcée de s'incliner devant de grandes raisons. L'intérêt public et son patriotisme lui imposent la résignation. Mais n'alléguer que des raisons vulgaires d'économie pour gagner douze à treize millions dans un budget de près de deux milliards, blesser à ce point l'armée, en vérité, c'est payer bien cher une économie de bout de chandelle. Puis annoncer au monde que le pays est tellement obéré qu'il ne peut pas payer son armée, en vérité, je le regrette, cela me paraît être le comble de l'imprudence politique et financière. Décidément, ces deux hommes d'affaires, Fould et Rouher, par leur absence complète de sens politique, semblent conjurer votre perte.
J'aurais voulu vous parler aussi d'un sujet délicat. J'ai reçu des révélations au sujet du service de ce qu'on appelle le Cabinet noir, par le chef de bureau. Cet homme a besoin de son pain ; il ne faut donc pas révéler à ses chefs les observations qu'il m'a faites. Elles intéressent le service de Votre Majesté. Si Votre Majesté venait à Paris, je la prierais de me faire donner une audience : mais pas à Compiègne, parce que cela fait trop de tapage dans le Gouvernement.
Je suis avec respect, Sire, de Votre Majesté le très-humble et très-dévoué serviteur et sujet.

Persigny

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dernière modification : 26 décembre 2019
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