Paris, 14 novembre 1869
Lettre de M. Duvernois à Napoléon

Sire,

J'ai l'honneur de transmettre à Votre Majesté une nouvelle lettre de M. E. Ollivier, et je prends la liberté d'y joindre mes réflexions particulières inspirées en partie par les lettres que m'écrit Ollivier.
Il paraît enchanté de voir M. de Forcade aller au Conseil d'Etat : "Cela concilie tout," dit-il. Quant à moi, je pense, en effet, que Votre Majesté a trouvé là le moyen de trancher deux difficultés qu'il eût fallu trancher plus tard, M. de Chasseloup eût dû quitter le Conseil d'Etat, où il faut un orateur, et la situation de M. de Forcade elle-même eût été prosvisoire. La pays a tellement besoin qu'on lui donne le sentiment de la stabilité, que j'aime mieux une solution définitive.
Je suis bien de l'avis d'Ollivier sur la nécessité de rajeunir le personnel gouvernemental. Cela est également nécessaire pour la tranquillité du règne et pour la sécurité de l'avenir. Les déclassés sont les pires ennemis de l'ordre, et l'utilité de former un personnel gouvernemental à l'école de Napoléon III est évidente ; mais Ollivier reconnaîtra, par la pratique, que l'introduction de la jeunesse dans le Gouvernement doit être un système appliqué avec une persévérance prudente et non une sorte de coup d'Etat. En allant trop vite on se heurterait à des droits acquis qu'il faut respecter, et l'on risquerait de faire de mauvais choix, ce qui serait pis que de rien changer. Du reste, l'ardeur d'Ollivier ne m'inquiète pas le moins du monde ; elle rencontrera assez d'obstacles quand elle sera aux prises aves les hommes et les choses.
En ce qui concerne M. Philis, qu'Ollivier voudrait bien prendre avec lui, je le connais depuis longtemps. C'est un orateur éminent, et il est clair que s'il avait déserté, comme Gambetta et Ferry, les rangs de l'opposition modérée, il serait comme eux un député populaire. C'est un bon esprit, et l'impétuosité d'Ollivier a souvent trouvé dans le calme de M. Philis un utile contrepoids.
L'heure n'est pas loin, Sire, où Votre Majesté va recueillir le fruit de son admirable patience. Le mouvement de réaction contre les irréconciliables commence à Paris, et il se dessine chaque jour davantage. L'avénement d'un nouveau cabinet, l'affirmation nette de la politique de résistance par des hommes qu'on ne pourra pas accuser de vouloir la réaction, feront bien vite le reste. Aussi, à mon avis, ce qu'il y a à faire maintenant, c'est beaucoup moins de réprimer ces violents que d'organiser et de fortifier l'armée conservatrice et libérale ; si, après cela, la révolution veut livrer bataille, elle pourra venir.
Terme maintient sa candidature, et il est plein d'espérance. (La Commission a publié, dans sa 6è livraison, la note acquittée des frais de la candidature de M. Terme) Il est convaincu qu'il aura plus de voix que M. Carnot, à la condition que M. Carnot ne soit pas recommandé par l'administration, comme il est arrivé aux dernières élections. Est-ce une illusion de candidat ? Je ne sais. En tout cas, je suis heureux qu'il se soit mis sur les rangs, car je n'admettrai jamais que la crainte de la défaite doive faire abandonner le drapeau. Si le parti opposant avait été aussi timide en province que le parti gouvernemental l'est à Paris, il n'aurait pas fait entrer autant de députés à la Chambre.
J'ai l'honneur d'être, etc.

Signé : Cl. Duvernois

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dernière modification : 26 décembre 2019
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