Paris, le 24 novembre 1867
Note du Cabinet du Préfet de police

Note pour l'Empereur

Depuis quelques temps, la tâche quotidienne qu'impose la préparation de ce rapport est des plus pénibles. A quelques sources que l'on s'adresse, quel que soit le correspondant que l'on consulte, quelques renseignements que l'on recueille, la situation actuelle apparaît toujours comme peu satisfaisante ; de quelque côté que l'on regarde, on se heurte à des inquiétudes sincères ou à des défiances qu'inspirent des hostilités ardentes.
On est ainsi condamné à présenter à l'Empereur des appréciations qui peuvent sembler pessimistes ; elles ne font cependant que reproduire les impressions reçues ; elles les atténuent plutôt qu'elles ne les exagèrent, mais le sentiment du devoir et un religieux dévouement aux institutions impériales ne permettent pas de les dissimuler, si amère que soit l'obligation d'en être l'écho fidèle.
La portion agissante de la société, celle qui s'occupe le plus de politique, qui aime les discussions, critique les gouvernements, accentue plus que jamais son opposition radicale et systématique. Elle seconde activement les hommes de parti, elle se complaît dans les attaques de la presse, elle va répétant que l'Empire est atteint dans son prestige extérieur, dans la prospérité matérielle du pays, qu'il avait ramenée, dans les garanties mêmes qu'il donnait à l'ordre social et aux intérêts conservateurs.
Et pourtant les masses ne sont pas gagnées par cette défiance et cette désaffection. Elles restent attachées à l'Empereur et à sa dynastie ; elles aiment sa personne ; elles comptent toujours sur sa sagesse ; mais ne faut-il pas craindre que, mobiles et impressionnables, elles ne risquent, dans un moment donné, de suivre l'entraînement des classes dirigeantes, et de leur prêter, pour une oeuvre révolutionnaire, le concours qu'elles ne paraissent nullement disposées à lui donner aujourd'hui ?
Ces populations, qui constituent le nombre et la force, ne se demandent-elles pas, elles-mêmes, quelle est la volonté de l'Empereur ? quelle est son action ? quel est le but poursuivi par son Gouvernement ?
Est-ce la guerre avec les entraînements du patriotisme, avec les chances heureuses que promettrait l'héroïsme de nos soldats ?
Est-ce la paix avec sa sécurité, la réduction des dépenses militaires, celle des contingents annuels et l'abandon d'un projet de réorganisation de l'armée resté peu populaire ?
Est-ce une nouvelle révolution libérale telle que l'annonçait la lettre du 19 janvier ?
Est-ce, au contraire, une plus grande force rendue, dans l'intérêt du pays, à l'action gouvernementale ?
Voilà les questions que l'on se pose partout avec anxiété.
Le choix à faire est grave et difficile ; tout le monde sent aussi que, dans l'état d'incertitude et d'engourdissement où se trouve le pays, une affirmation nette et résolue de la politique et de l'action impériale s'impose avec une urgence chaque jour plus grande à la prévoyance et à la sagesse du gouvernement.
Plus qu'aucun autre pays, la France, où se conservent tant de germes révolutionnaires, a besoin d'être gouvernée et conduite.
A cette condition seulement les masses reprendront dans l'avenir leur confiance tout entière.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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