Paris, le 14 août 1866
Lettre de M. Fould à l'Empereur, au sujet de l'expédition du Mexique

Sire,

L'expédition du Mexique a eu pour motif le désir d'obtenir une réparation des insultes faites à nos nationaux, en même temps que des indemnités pour les pertes qu'ils avaient supportées.
Elle avait, en outre, un double but, qui était de contenir la dominaion des Etats-unis et de développer nos relations commerciales.
L'Empereur sait ce qui a été fait pour nos nationaux.
Leurs réclamations, qui s'élevaient à une somme bien supérieure, ont été réglées à ..... millions, payables en obligations du dernier emprunt. Sur cette somme, il n'a été encaissé, pour leur compte, que 5 683 800 francs, et il reste 57 710 obligations, représentant, au cours de 300 francs, 17 300 000 francs, mais dont la réalisation se trouve entravée par une réclamation des banquiers qui les avaient achetées, et qui, invoquant aujourd'hui des causes de force majeure, se refusent à en prendre livraison. Le cours actuel de ces obligations n'est que de 170 francs.
Quant au but politique que se proposait l'Empereur, il eût été peut-être possible de l'atteindre en profitant du conflit entre le Nord et le Sud des Etats-Unis, pour soutenir les dissidents et favoriser, au profit du Mexique, l'établissement d'un état intermédiaire. Des considérations puissantes ont détourné de cette politique, et aujourd'hui l'empire n'a pas moins à redouter les Etats du Sud que les Etats du Nord.
D'un autre côté, l'extension de nos relations commerciales semble plutôt compromise qu'obtenue. Au début de notre entreprise, des envois assez considérables de produits français ont été dirigés sur le Mexique, mais ce fait s'expliquait par la longue interruption du commerce, résultat des troubles, et de l'anarchie qui régnait dans ce pays. Il faut aussi faire la part de la consommation et de l'approvisionnement de nore armée, ainsi que de la faveur sur laquelle comptaient d'abord les négociants français. Mais cet accroissement de commerce ne s'est pas maintenu et se ralentit au contraire d'une manière sensible.
Un tel état de choses s'explique par les circonstances politiques, sur lesquelles il est nécessaire de ne pas s'abuser.
Bien qu'il existe au Mexique un parti monarchique, il faut reconnaître que ce parti n'a pas la force que lui prêtaient les émigrés résidant en France avant l'expédition. Nous l'avons déjà constaté avant l'arrivée de l'empereur Maximilien, et il a pu le constater promptement lui-même. C'est alors qu'il a rompu avec le parti clérical et monarchique, et qu'il s'est rapproché du parti libéral, composé presque exclusivement de républicains dévoués à Juarez ou animés d'ambitions personnelles. C'est alors aussi que se sont manifestées les dissidences et qu'a commencé la guerre de partisans. L'empereur s'est trouvé entre le parti monarchique, qui ne fiait plus à lui, et le parti libéral, qui ne cherchait qu'à le trahir. Plus de deux ans se sont écoulés dans ces luttes intestines, sans qu'aucune amélioration réelle ait été faite au point de vue administratif ou financier. Les dépenses, non-seulement de la guerre, mais de l'administration intérieure, ont été supportées par la France, soit sous forme de subventions, soit sous celle d'emprunt contractés à Paris.
Il est malheureusement bien avéré aujourd'hui que la situation de l'empereur Maximilien ne peut se prolonger longtemps. Le parti monarchique est à la fois le plus faible et le moins éclairé. Livré à ses propres forces, il est incapable de se maintenir. Si, comme Votre Majesté l'a annoncé, nos troupes reviennent laissant l'empereur Maximilien aux prises avec les difficultés de sa situation, leur départ sera plein de dangers pour elles-mêmes et pour nos nationaux au Mexique. Il est constant que l'armée mexicaine n'offre aucune garantie de cohésion ni de fidélité, et les quelques troupes autrichiennes ou de la légion étrangère française, disséminées sur un immense teritoire, seraient impuissantes à offrir une résistance sérieuse. Un simple secours en argent ne serait d'aucune efficacité pour surmonter les innombrables difficultés que présente la situation.
Il semble donc impossible que l'empereur Maximilien se maintienne au Mexique. Il lui reste encore un beau rôle à prendre en renonçant à la couronne.
Qu'il adresse une proclamation aux Mexicains ;
Qu'il leur dise qu'en lui offrant le trône, ils se sont trompés eux-mêmes ;
Qu'il profite de la présence de l'armée française pour maintenir l'ordre ;
Qu'il engage le peuple mexicain à procéder au choix d'un nouveau gouvernement et à la désignation d'un nouveau chef.
Effectué dans ces conditions, son départ pour l'Europe sera peut-être l'occasion de quelques regrets ; en tout cas, il aura lieu sous la protection de l'armée française. Il sera en même temps le signal du rétablissement du calme dans ce pays, où, notre intervention cessant, on verra bientôt cesser aussi toute cause d'animosité contre nous. Je n'admets pas les tristes prévisions par lesquelles on a cherché à produire une impression sur l'esprit de l'Empereur ; mais auraient-elles quelque fondement, qu'il serait facile d'opérer progressivement le retour de nos troupes de manière à garantir la sécurité de nos nationaux.
Je ne dissimule pas qu'il sera moins facile peut-être de déterminer l'empereur Maximilien à abdiquer. Si je suis bien renseigné, il ne s'y résignera que s'il est convaincu qu'il n'a plus de secours à attendre de la France. Il commence à le pressentir ; le voyage de l'impératrice Charlotte en est la preuve. Si Votre Majesté lui déclare nettement que, quels que soient ses sentiments personnels, Elle ne peut lui donner aucune assistance sans convoquer le Corps législatif, dont l'opinion n'est pas douteuse, l'impératrice Charlotte amènera l'empereur Maximilien à la détermination que je regarde comme la seule possible.
Je n'entre pas dans le détail de la conduite que le Gouvernement français aura à tenir au milieu des circonstances nouvelles dans lesquelles se trouvera le Mexique. Je crois que son rôle devra se borner à asurer la sécurité des Français qui résident dans ce pays, et à obtenir pour leurs intérêts et pour ceux des créanciers du Gouvernement mexicain toutes les garanties désirables.
Ce but une fois atteint, nos troupes pourront rentrer en France : les souvenirs qu'elles laisseront au Mexique et les efforts désintéressés que nous avons tenté pour la prospérité de ce pays contribueront sans doute au développement de nos relations avec lui. Dans cette limite du moins, la France trouvera une compensation à ses sacrifices.
Je suis avec respect, Sire, de Votre Majesté, le très-humble et dévoué sujet.

Achille Fould

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dernière modification : 26 décembre 2019
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