Paris, le 8 janvier 1857
Lettres de M. de Bouyn, capitaine de gendarmerie, au sujet d'ordres illégaux qui lui avaient été envoyés.

Sire,

Le capitaine de Bouyn (Frédéric) vous supplie de lui accorder la grâce de venir devant Votre Majesté pour Lui faire connaître des mesures qui portent atteinte à la dignité d'une arme dont tous les actes doivent être publics et jamais de nature à détruire sa considération.
Le décret impérial du 1er mars 1854, art. 119, est ainsi conçu : Dans aucun cas, ni directement, ni indirectement, la gendarmerie ne doit recevoir de missions occultes qui lui enlèvent son caractère véritable.
D'après les instructions que j'ai entre les mains, il m'a été ordonné de dire combien dans mon arrondissement il y a de légitimistes, orléanistes, républicains, socialistes, etc., de surveiller leurs démarches, allées et venues, leurs relations, leurs faits et paroles, les connaître et les nommer.
Tous mes subordonnés doivent être employés par moi à remplir cette mission et doivent me faire des rapports.
Dans d'autres circonstances, mes subordonnés, ont dû, en exécution d'ordres qu'on m'avait laissé ignorer, employer tous les moyens pour assurer une candidature, empêcher celle d'une autre personne, quelque honorable qu'elle fût, malgré toutes les sympathies des populations et des autorités du pays, parce que, pour des motifs personnels, on préférait le premier. J'ai défendu à mes subordonnés d'exécuter ces ordres, qui étaient imprudents.
Toutes ces mesures ont un inconvénient plus grand que de déconsidérer une arme, elles peuvent porter atteinte aux sympathies si justement acquises à Votre Majesté.
Un décret de vous, Sire, est un ordre suprême. Je dois obéir dans la sage mesure des dispositions qu'il trace, et non à ce qu'un zèle mal entendu peut y ajouter.
Vous avez voulu, Sire, que la gendarmerie veillât au repos public, qu'elle fît respecter la loi, qu'elle fût la protectrice de tous, qu'elle fût paternelle, mais redoutée seulement par les malfaiteurs. Rien dans sa manière d'être ne doit exciter de la méfiance, rien ne doit faire supposer que ses devoirs demandent mystères et ténèbres.
Le jour où devant moi tout le monde se tairait, ce jour-là je serais honteux de moi-même et me croirais déshonoré.
Il ne peut être de la compétence de la gendarmerie de chercher à pénétrer les tendances politiques de chacun. Elle ne doit pas abuser de la confiance qu'on peut avoir dans la dignité et ses devoirs. Il arrive un jour où les malintentionnés se trahissent eux-mêmes, et c'est alors qu'ils se trouvent en face de la gendarmerie, toujours fidèle à sa mission, et d'autant plus prompte qu'elle ne coûte rien à sa délicatesse.
Je vous supplie, Sire, de m'accorder l'insigne honneur d'être admis devant Votre Majesté, non pas pour accuser qui que ce soit, mais pour vous faire connaître des faits dont les conséquences ont pour résultat de donner des rapports inexacts, d'insdisposer les populations et de faire des ennemis à votre gouvernement.
Fils d'un ancien officier supérieur du premier empire, c'est vous-même qui m'avez placé la croix sur la poitrine, et je m'en souviendrai toujours. Comme moi, mes deux frères sont dans l'armée, mais comme moi (je n'en doute pas), ils renonceraient à leur carrière le jour où l'on exigerait d'eux quelque chose d'incompatible avec la délicatesse.
J'ai l'honneur d'être, avec un très-profond respect, Sire, de Votre Majesté, le très-humble et très-dévoué sujet.

A Aurillac (Cantal)

Le capitaine de gendarmerie, Frédéric de Bouyn

retour sur "documents Louis-Napoléon-Bonaparte"



 

dernière modification : 26 décembre 2019
règles de confidentialité