année 1855
2 juillet 1855

Ouverture de la session extraordinaire de 1855

L'Empereur ouvre la session extraordinaire du Sénat et du Corps législatif au palais des Tuileries et prononce le discours suivant :

Messieurs les Sénateurs,
Messieurs les Députés,

Les négociations diplomatiques entamées pendant le cours de votre dernière session vous avaient fait pressentir que je serais obligé de vous rappeler lorsqu'elles seraient arrivées à leur terme. Malheureusement les conférences de Vienne ont été impuissantes à amener la paix. Je viens donc de nouveau faire un appel au patriotisme du pays et au vôtre.
Avons-nous manqué de modération dans le règlement des conditions ? Je ne crains pas d'examiner la question devant vous. Il y avait un an environ que la guerre avait commencé, et déjà la France et l'Angleterre avaient sauvé la Turquie, gagné deux batailles, forcé la Russie à évacuer les Principautés et à épuiser ses forces pour défendre la Crimée. Enfin nous avions en notre faveur l'adhésion de l'Autriche et l'approbation morale du reste de l'Europe.
Dans cette situation, le cabinet de Vienne nous demanda si nous consentirions à traiter sur des bases déjà vaguement formulées avant nos succès. Un refus de notre part devait sembler naturel. Ne devait-on pas croire en effet que les exigences de la France et de l'Angleterre se seraient accrues en proportion de la grandeur de la lutte et des sacrifices déjà faits ? Eh bien ! la France et l'Angleterre ne se sont pas prévalues de leurs avantages ni même des droits que leur offraient les traités en vigueur, tant elles avaient à coeur de rendre la paix plus facile et de donner une irrécusable preuve de leur modération.
Nous nous sommes bornés à demander, dans l'intérêt de l'Allemagne, la libre navigation du Danube et une digue contre le flot russe qui vient sans cesse obstruer l'embouchure de ce grand fleuve ; dans l'intérêt de la Turquie et de l'Autriche, une meilleure constitution des Principautés, afin qu'elles servent de rempart contre les invasions sans cesse renaissantes du Nord ; dans un intérêt d'humanité et de justice, les mêmes garanties pour les chrétiens de toutes les communions sous la protection exclusive du Sultan ; dans l'intérêt de la Porte comme dans celui de l'Europe, nous avons demandé que la Russie limitât à un chiffre raisonnable le nombre des vaisseaux qu'elle entretient à l'abri de toute attaque dans la mer Noire, et qu'elle ne peut entretenir que dans un but d'agression.
Eh bien ! toutes ces propositions que j'appellerai magnanimes par leur désintéressement, et qui avaient été approuvées en principe par l'Autriche, par la Prusse et par la Russie elle-même, se sont évanouies dans les conférences. La Russie, qui avait consenti théoriquement à mettre fin à sa prépondérance dans la mer Noire, a refusé toute limitaion de ses forces navales, et nous en sommes encore à attendre que l'Autriche exécute ses engagements, qui consistaient à rendre notre traité d'alliance offensif et défensif si les négociations n'aboutissaient pas.
L'Autriche, il est vrai, nous a proposé de garantir avec elle par un traité l'indépendance de la Turquie, et de considérer à l'avenir comme casus belli le cas où le nombre des vaisseaux de la Russie aurait dépassé celui qui existait avant la guerre. Accepter une semblable proposition était impossible, car elle ne liait en rien la Russie, et au contraire nous paraissions sanctionner sa prépondérance dans la mer Noire par une convention. La guerre a dû suivre son cours.
L"admirable dévouement de l'armée et de la flotte amènera bientôt, je l'espère, un résultat heureux ; c'est à vous de me donner les moyens de continuer la lutte. Le pays a déjà montré quelles étaient ses ressources et sa confiance en moi. Il avait offert il y a quelques mois 1 milliard 700 millions de plus que je ne lui demandais ; une partie suffira pour soutenir son honneur militaire et ses droits comme grande nation. J'avais résolu d'aller me placer au milieu de cette vaillante armée, où la présence du souverain n'eût pas été sans produire une influence heureuse ; et, témoin des héroïques efforts de nos soldats, j'aurais été fier de pouvoir les diriger ; mais les graves questions agitées à l'étranger sont toujours demeurées en suspens, et la nature des circonstances a exigé, à l'intérieur, de nouvelles et importantes mesures. C'est donc avec douleur que j'ai abandonné ce projet.
Mon gouvernement vous proposera de voter la loi annuelle de recrutement. Il n'y aura point de levée extraordinaire, et l'on rentrera dans les voies accoutumées qui nécessitent pour la régularité de l'administration le vote de la levée une année à l'avance.
En terminant, messieurs, payons ici solennellement un juste tribut d'éloges à ceux qui combattent pour la patrie ; associons- nous à ses regrets pour ceux dont elle déplore la perte. L'exemple de tant d'abnégation et de constance n'aura pas été en vain donné au monde. Que les sacrifices nécessaires ne nous découragent pas ; car, vous le savez, une nation doit ou abdiquer tout rôle politique, ou, si elle a l'instinct et la volonté d'agir conformément à sa nature généreuse, à son histoire séculaire, à sa mission providentielle, elle doit par intervalles savoir supporter des épreuves qui seules peuvent la retremper et la porter au rang qui lui est dû.
Confiance en Dieu, persévérance dans nos efforts, et nous arriverons à une paix digne de l'alliance de deux grands peuples.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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