année 1852
29 mars 1852

Ouverture de la session du Sénat et du Corps législatif au palais des Tuileries

Le Prince-Président de la République fait l'ouverture de la session du Sénat et du Corps législatif au palais des Tuileries.
Le Prince prononce le discours suivant :

Messieurs les Sénateurs, Messieurs les Députés,

La dictature que le peuple m'avait confiée cesse aujourd'hui. Les choses vont reprendre leur cours régulier. C'est avec un sentiment de satisfaction réelle que je viens proclamer ici la mise en vigueur de la Constitution ; car ma préoccupation constante a été non-seulement de rétablir l'ordre, mais de le rendre durable, en dotant la France d'institutions appropriées à ses besoins.
Il y a quelques mois à peine, vous vous en souvenez, plus je m'enfermais dans le cercle étroit de mes attributions, plus on s'efforçait de le rétrécir encore, afin de m'ôter le mouvement et l'action. Découragé souvent, je l'avoue, j'eus la pensée d'abandonner un pouvoir ainsi disputé. Ce qui me retint, c'est que je ne voyais pour me succéder qu'une chose : l'anarchie. Partout, en effet, s'exaltaient des passions ardentes à détruire, incapables de rien fonder. Nulle part, ni une institution, ni un homme à qui se rattacher ; nulle part un droit incontesté, une organisation quelconque, un système réalisable.
Aussi, lorsque, grâce au concours de quelques hommes courageux, grâce surtout à l'énergique attitude de l'armée, tous les périls furent conjurés en quelques heures, mon premier soin fut de demander au peuple des institutions. Depuis trop longtemps la société ressemblait à une pyramide qu'on aurait retournée et voulu faire reposer sur son sommet ; je l'ai replacée sur sa base. Le suffrage universel, seule source du droit dans de pareilles conjonctures, fut immédiatement rétabli ; l'autorité reconquit son ascendant ; enfin, la France adoptant les dispositions principales de la Constitution que je lui soumettais, il me fut permis de créer des corps politiques dont l'influence et la considération seront d'autant plus grandes que leurs attributions auront été sagement réglées.
Parmi les institutions politiques, en effe, celles-là seules ont de la durée, qui fixent d'une manière équitable la limite où chaque pouvoir doit s'arrêter. Il n'est pas d'autre moyen d'arriver à une application utile et bienfaisante de la liberté : les exemples n'en sont pas loin de nous.
Pourquoi, en 1814, a-t-on vu avec satisfaction, en dépit de nos revers, inaugurer le régime parlementaire ? C'est que l'Empereur, ne craignons pas de l'avouer, avait été, à cause de la guerre, entraîné à un exercice trop absolu du pouvoir.
Pourquoi, au contraire, en 1851, la France applaudit-elle à la chute de ce même régime parlementaire ? C'est que les Chambres avaient abusé de l'influence qui leur avait été donnée, et que, voulant tout dominer, elles compromettaient l'équilibre général.
Enfin, pourquoi la France ne s'est-elle pas émue des restrictions apportées à la liberté de la presse et à la liberté individuelle ? C'est que l'une avait dégénéré en licence, et que l'autre, au lieu d'être l'exercice réglé du droit de chacun, avait, par d'odieux excès, menacé le droit de tous.
Cet extrême danger, pour les démocraties surtout, de voir sans cesse des institutions mal définiée sacrifier tour à tour le pouvoir ou la liberté, a été parfaitement apprécié par nos pères, il y a un demi-siècle, lorsqu'au sortir de la tourmente révolutionnaire, et après le vain essai de toute espèce de régimes, ils proclamèrent la Constitution de l'an VIII, qui a servi de modèle à celle de 1852. Sans doute, elles ne sanctionnent pas toutes ces libertés, aux abus même desquelles nous étions habitués ; mais elles en consacrent aussi de bien réelles. Le lendemain des révolutions, la première des garanties pour un peuple ne consiste pas dans l'usage immodéré de la tribune et de la presse : elle est dans le droit de choisir le gouvernement qui lui convient. Or, la nation française a donné, peut-être pour la première fois, au monde, le spectale d'un grand peuple votant en toute liberté la forme de son gouvernement.
Ainsi le chef de l'Etat que vous avez devant vous est bien l'expression de la volonté populaire : et devant moi, que vois-je ? deux Chambres, l'une élue en vertu de la loi la plus libérale qui existe au monde, l'autre nommée par moi, il es vrai ; mais indépendante aussi, parce qu'elle est inamovible.
Autour de moi vous remarquez des hommes d'un patriotisme et d'un mérite reconnus, toujours prêts à m'appuyer de leurs conseils, à m'éclairer sur les besoins du pays.
Cette Constitution, qui, dès aujourd'hui, va être mise en pratique, n'est donc pas l'oeuvre d'une vaine théorie ou du despotisme : c'est l'oeuvre de l'expérience et de la raison ; vous m'aiderez, Messieurs, à la consolider, à l'étendre, à l'améliorer.
Je ferai connaître au Sénat et au Corps législatif l'exposé de la situation de la République. Ils y verront que partout la confiance a été rétablie, que partout le travail a repris, et que, pour la première fois après un grand changement politique, la fortune publique s'est accrue au lieu de diminuer.
Depuis quatre mois, il a été possible à mon gouvernement d'encourager bien des entreprises utiles, de récompenser bien des services, de secourir bien des misères, de réhausser même la position de la plus grande partie des principaux fonctionnaires, et tout cela sans aggraver les impôts ou déranger les prévisions du budget, que nous sommes heureux de vous présenter en équilibre.
De pareils faits et l'attitude de l'Europe, qui a accueilli avec satisfaction les changements survenus, nous donnent un juste espoir de sécurité pour l'avenir : car, si la paix est garantie au dedans, elle l'est également au dehors. Les Puissances étrangères respectent notre indépendance, et nous avons tout intérêt à conserver avec elles les relations les plus amicales. Tant que l'honneur de la France ne sera pas engagé, le devoir du gouvernement sera d'éviter avec soin toute cause de perturbation en Europe, et de tourner tous nos efforts vers les améliorations intérieures, qui peuvent seules procurer l'aisance aux classes laborieuses et assurer la prospérité du pays.
Et maintenant, messieurs, au moment où vous vous associez avec patriotisme à mes travaux, je veux vous exposer franchement quelle sera ma conduite.
En me voyant rétablir les institutions et les souvenirs de l'Empire, on a répété souvent que je désirais rétablir l'Empire même. Si telle était ma préoccupation constante, cette transformation serait accomplie depuis longtemps : ni les moyens, ni les occasions ne m'ont manqué.
Ainsi, en 1848, lorsque 6 millions de suffrages me nommèrent en dépit de la Constituante, je n'ignorais pas que le simple refus d'acquiescer à la Constitution pouvait me donner un trône. Mais une élévation qui devait nécessairement entraîner de graves désordres ne me séduisit pas.
Au 13 juin 1849, il m'était également facile de changer la forme du gouvernement : je ne le voulus pas.
Enfin, au 2 décembre, si des considérations personnelles l'eussent emporté sur les graves intérêts du pays, j'eusse d'abord demandé au peuple, qui ne l'eût pas refusé, un titre pompeux. Je me suis contenté de celui que j'avais.
Lors donc que je puise des exemples dans le Consulat et l'Empire, c'est là que, surtout, je les trouve empreints de nationalité et de grandeur. Résolu aujourd'hui, comme avant, de faire tout pour la France, rien pour moi, je n'accepterais de modification à l'état présent des choses, que si j'y étais contraint par une nécessité évidente. D'où peut-elle naître ? Uniquement de la conduite des partis. S'ils se résignent, rien ne sera changé. Mais si, par leurs sourdes menées, ils cherchaient à saper les bases de mon gouvernement ; si, dans leur aveuglement, ils niaient la légitimité du résultat de l'élection populaire ; si, enfin, ils venaient sans cesse, par leurs attaques, mettre en question l'avenir du pays, alors, mais seulement alors, il pourrait êre raisonnable de demander au peuple, au nom du repos de la France, un nouveau titre qui fixât irrévocalement sur ma tête le pouvoir dont il m'a revêtu. Mais ne nous préoccupons pas d'avance de difficultés qui n'ont sans doute rien de probable. Conservons la République ; elle ne menace personne, elle peut rassurer tout le monde. Sous sa bannière, je veux inaugurer de nouveau une ère d'oubli et de conciliation, et j'appelle, sans distinction, tous ceux qui veulent franchement concourir avec moi au bien public.
La providence, qui jusqu'ici a si visiblement béni mes efforts, ne voudra pas laisser son oeuvre inachevée ; elle nous animera tous de ses inspirations, et nous donnera la sagesse et la force nécessaires pour consolider un ordre de choses qui assurera le bonheur de notre patrie et le repos de l'Europe.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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