Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
20 septembre 1823

D'abord mon cher Charles, commencez à vous préparer à acheter une robe pour Mme Muron. Sa fête et ses étrennes, voilà la part que je vous ai donnée dans les ennuis de l'éducation d'Auguste. Il me la faut très jolie. Celle dont Marguerite a envoyé un morceau à Marie m'a paru charmante, excepté que je ne la veux point noire et blanc. Ce n'est pas que nous ne soyons je crois menacés d'un grand deuil très prochain car tout le monde parle du changement terrible du Roi. Sa figure est devenue très maigre et d'un rouge noir effrayant , mais les deuils de cour ne se portent point dans la bourgeoisie. Envoyez le paquet à Louis qui a déjà touché les bords de l'heureuse Albion, et il m'enverra ce paquet par le premier courrier que lui ou un de ses collègues enverra à Paris mais quelques fois ils sont rares et il est bon que le dit paquet soit là sans ses jeux, pour ne point manquer les occasions. Je n'ai pas été encore à l'exposition des produits de l'Indochine mais on dit qu'il y a de très belles choses, et particulièrement un scholl français de M. Ferneau, valant 5000 f, et plus beau que tout ce qui est jamais venu de l'Inde. M. de S... est dans un état de faiblesse et de malaise qui inquiète beaucoup Moreau, car l'hiver n'est pas encore commencé. Papa s'en inquiète aussi lui-même, il redoute l'hiver, et il m'a déjà dit plusieurs fois d'un air bien triste ma chère amie nous approchons de l'hiver ! Il est devenu d'une maigreur dont on ne peut se faire aucune idée, les dangers que son fils a couru pendant trois mois l'ont tué. Il le voyait toujours pris et fusillé, et vingt fois par heure, je le voyais frémir sans qu'il prononçât aucune parole.
Cependant moi j'espère qu'à force de soins comme il n'a réellement aucune maladie, nous le préserverons et conserverons. Il a déjà consenti à ne faire qu'une fois le chemin du cercle et je l'y amène ou l'en ramène, mais il faut que je sois avec lui, sans quoi il essayerait d'aller à pieds, et Moreau dit que la moindre fatigue lui ferait autant de mal qu'un accès de fièvre. Je le couve des yeux comme mon enfant, et certainement dans aucun temps de ma vie je l'ai chéri avec une si tendre et je dirai une si pieuse affection. Auguste a fait quelque chose dont je suis touchée. Il avait 12 petites pinces de 5 sols d'argent ; elles étaient toutes neuves, et il les gardait comme des médailles. Toute son ambition était d'augmenter ce trésor qui en effet était fort joli. M. de Souza a été obligé de renvoyer Antoine, ce pauvre Antoine, très coupable cependant, pleurait beaucoup et disait qu'il n'avait pas un sol vaillant ; Auguste est venu me demander la permission de lui donner ses petites pièces, ce qu'il a fait sans dire un mot à personne. En tout c'est un enfant charmant, aimable, gai, d'une bonté parfaite et avec une simplicité qui prouve bien que c'est sa nature. Plus il grandit, plus je l'aime. Nous avons ensemble des conversations sur toutes choses et il a dit hier à Sally : Bonne mère et moi nous causons comme de vrais amis, cela m'a enchanté. Nous jouons le soir aux synonymes, papa, M. G., Auguste et moi : je tiens le livre et c'est à qui donne la meilleure signification des mots. L'enfant parle le premier, toujours juste.
Mais adieu, je vous embrasse tous les cinq de tout mon coeur.
Le papier me manque.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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