Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
1er juillet 1822

J'ai l'honneur de vous faire part que je viens d'écrire le mot fin à mon roman. Il aura quatre petits vol. in 12 et un grand in 8. C'est le plus long ouvrage que j'aurai fait. M. de Souza qui est classique en fait de roman dit que c'est le meilleur. M. G... le pense aussi, car il me le dit. Nous verrons ce qu'en Ecosse on m'en écrira. J'ai à présent la triste et ennuyeuse revue des corrections, de ce qu'on appelle la chasse aux mots, puis viendront les épreuves, et après, tout de suite un autre ouvrage dont j'ai déjà le sujet dans la tête. J'écrirai ainsi jusqu'à ce qu'un ami me traite comme l'archevêque de Tolède, encore faudra-t-il qu'il parle haut et clair pour que je l'entende.
Madame de Genlis est tout de même ; avec ses 18 ans, la voilà qui va publier un manifeste contre les philosophes et la philosophie. On dit que cet ouvrage a une v... de haine pour les personnes qu'elle y peint, en les nommant de peur que l'on s'y trompe, et une flatterie pour la dévotion actuelle qui est étonnante. Mais je suis résolue à ne pas dire un mot pour la critiquer, car elle a fait de moi un grand éloge. Il porte d'abord sur ce que je n'ai jamais rien écrit contre la religion ni contre les moeurs, c'est bien cela ! Comme si une femme qui se respecte ne peut pouvoir faire autrement.
Je ferai la commission de l'amiral Flemming et j'aurai son paquet tout prêt pour le moment où vous m'enverrez une adresse. Cependant, le comte Funchall attend une permission pour entrer en Angleterre sans que sa voiture soit visitée , s'il part avant que votre lettre ne m'arrive, je risquerai mon paquet, et l'adresserai à Mme de Lieven, car je ne sais pas seulement comment on vous adresse une lettre et j'ignore où Meiklour est située, ce qui m'embarrasserait si je voulais vous écrire sans le secours des intermédiaires.
J'ai un mal de tête fort, car j'ai déjà écrit 6 heures, mais je voulais mettre ce mot fin. C'est le plus beau, il fait respirer plus à l'aise ; ce n'est pas que je n'aie toujours un peu de tremblement dans la main depuis ce terrible jour, cependant je vais mieux. Hélas ! ma pauvre soeur m'a parlé de ce roman deux jours avant sa mort, elle s'intéressait si vivement à tous ces petits ouvrages, et j'avais tant de plaisir à les lui lire ! Pauvre bonne soeur, elle m'aimait bien plus depuis qu'elle me croyait malheureuse, mais revenons à vous mon enfant. Nous ne voulons pas ici entendre parler d'une petite fille. Il nous faut un garçon. Je parie que c'est l'avis de l'amiral Fleming.
Mme Excelmanns est accouchée d'une petite fille, mais elle se remet difficilement. Son pauvre mari n'avait guère besoin d'une femme infirme, ni de 6 petits enfants dans une menace d'être aveugle, à peine distingue-t-il assez pour conduire. Il faudrait une grande fortune pour s'aider au milieu de tant de maux.

Le comte de M. me charge de mille compliments pour vous deux. Mme de Metternich est partie ce matin pour une terre près de Mayence, mais elle compte revenir au mois de septembre pour passer ici le temps que durera le congrès qui doit avoir lieu à Florence. L'empereur de Russie ira partout, hors en Grèce, dit-on.
Adieu, mes chers amis, soyez heureux, bien portants, et croyez que je vous aime de toute mon âme. Je vous quitte pour remercier M. John Elphinstone qui me comble de biens ; il m'a envoyé du thé et des plumes. Auguste est très bien, il a finit tout son rudiment et va le recommencer. J'embrasse mes petites filles et vous deux de tout mon coeur.
Votre dernière lettre, Charles, m'a rendue bien heureuse. J'aime à vous le dire.
M. Frecki a écrit à Mme de Bourke et lui a fait entendre qu'il ne lui était pas permis de quitter Milan.
Le comte et la comtesse de Linhares sont ici. La pauvrette est bien maigre, elle va se mettre entre les mains de Dupuytrain pour une triste opération ; elle m'a prié d'y assister et je le ferai car elle n'a personne ici, ma religion à moi est courte et simple, c'est de faire aux autres ce que je voudrais qui me fut fait. Si l'on se bornait à Dieu et le prochain , les Turcs n'assommeraient pas les grecs. Adieu encore mes chers amis, vous ne serez jamais aussi heureux que mon coeur le désire.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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