Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
1er décembe 1820

D'abord, ma chère fille, voici les lacets et les laines pour les coudre. J'ai envoyé le Père de famille avec sa facture à M. Delessert. Les quatre garnitures montent à 60f 10c ce qui fait 15f chacun. C'est cher en gros mais pas en détail, car il y en a pour... C'est en laine et de très bon teint. je crois que les lacets de votre M. de la rue du Roule ne peuvent sevir que pour de la percole, car ils emporteraient toute mousseline. J'envoie à mon fils pour ses étrennes un livre que M. Gall. dit être excellent, et nécessaire pour connaître parfaitement tous les evénements de la révolution, tu étais si jeune alors que ce te sera plus nouveau et plus utile que l'histoire ancienne, enfin, on dit que c'est le livre le mieux fait, et j'espère qu'il te sera agréable. Son seul défaut à mes yeux, ou plutôt pour mes yeux, est de ne pas être en quatre volumes et en plus gros caractères mais cela contient tout.
Ma pauvre soeur recommence à grossir, cela me tourmente beaucoup, mais elle soutient cela aussi gaiement que le malheur, après avoir eu 500 mille livres de rente ; cependant c'est le malheur qui lui a donné une obstruction qui cause cette hydropisie.
On dit ici qu'il y a un Rgt Russe qui s'est révolté. C'est l'élite de l'armée, et l'on ajoute encore plus bas que trois autres régiments à qui l'on avait ordonné de marcher pour le désarmer ont refusé d'obéir ; je crains que ces troupes n'aient trop profité de leur voyage, peut-être l'Emp. Al. trouvera-t-il un jour qu'il n'aurait pas du les amener si loin, et que l'air de la France leur a été malsain. Les amis de M. Fabvier disent que son affaire va fort mal, ce qui est sûr, c'est que les derniers jugements qui ont été prononcés doivent effrayer. Du reste il est calme mais par une exaltation de fausse vertu, il s'est compromis dans ses réponses, en convenant qu'on était venu lui parler de ces projets d'insurrection, et qu'il avait pris toutes ces confidences comme faites par des agents provocateurs. On lui a demandé les noms. Il a répondu que lui, n'était pas un délateur et qu'il ne nommerait personne. Le voilà donc nécessairement compris dans la loi qui condamne la non révélation comme le crime, le fameux, le vertueux président de ... à jamais célèbre, ne fut pas décapité pour un autre crime sans le card. de Richelieu ; il ne déclara point les confidences que son jeune ami St Marc lui avait faites, quoiqu'il eut fait tout au monde pour le détourner de sa folle entreprise et il fut condamné et exécuté. S'il eut trahi son ami, il aurait été méprisé ! Dans ce cas-là, il n'y a de salut que dans la fuite, assurément le point d'honneur qui fait qu'on se bat en duel est moins fort que l'honneur véritable de ne point trahir son ami, et qui supporterait un lâche qui refuserait de se battre. Mais les juges d'un card. de Richelieu, ou ceux du temps des partis mesurent le bien et le mal suivant leur ambition ou leur haine.
Au surplus, on plaisante sur ce que la Chambre des pairs, pour trouver un local assez spacieux, ira prononcer son jugement dans la salle nommée des pas perdus au palais. C'est une salle plus grande qu'une église et où St Louis tenait sa cour pleinière ; on l'a nommée des pas perdus parce qu'on perd beaucoup de temps à la traverser, tant elle est grande.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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