Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
28 mai 1819

D'abord je te prie instamment de faire vacciner notre petite par Dr Hamilton avant de penser à l'amener ici car depuis qu'on retourne au passé, on ne fait plus autant vacciner ici, et dans les tables de mortalité de cette année, il y a eu 800 et quelques personnes mortes de la petite vérole, cela me rappelle l'heureux temps où la Sorbonne défendait l'inoculation, celà s'appelait tenter Dieu. Car enfin c'était donner une maladie dans un temps où Dieu ne l'envoyait point. D'ailleurs je crois le vaccin meilleur en Angleterre qu'ici. Et puisque notre petite est si gentille, il ne faut point qu'elle perde un oeil ou deux de la petite vérole.
Ne crains jamais mon bien aimé Charles de ne trop parler d'elle ni de son aimable mère. Tu ne peux concevoir combien je jouis de te voir ce ravissement d'être époux et père. Combien tes anxiétés pour Marguerite et pour... (Comment s'appelle-t-elle notre petite ?) m'enchantent. Je désire bien que la petite ait les yeux de sa mère, car c'est notre côté faible. A-t-elle des sourcils ? C'est encore une chose que je lui désire. Quant à mes mains, c'était, il y a un siècle, ma prétention, ainsi que mes pieds, j'ai mis assez qu'elle ne recommence. Cependant en général les Anglaises ont les mains plus belles que nous. L'as-tu portée ? Quand elle criera, approche-la de ton visage et elle se taira tout de suite. Je me rappelle que Vicq d'Azyr qui était mon ami et médecin célèbre fut chargé par la pauvre Reine de faire l'expérience en grand à Mousseau de nourrir plusieurs enfants trouvés, au lait de vache car à l'hospice, sur 1000 enfants qu'on y porte chaque année à Paris, il y en mourrait le tiers la première année, ce qu'on attribuait aux mauvaises nourrices et aux mauvais traitements que recevaient ces pauvres petites créatures, vu le modique prix de 7 francs par mois que l'hospice donnait aux nourrices. On transporta donc 24 petits nouveaux-nés à Mousseau, on y mit des femmes pour les soigner, elles crurent faire assez de les tenir proprement et de leur donner à boire quand elles criaient, les laissant d'ailleurs dans leurs petits berceaux presque toujours ; ces pauvres enfants moururent presque tous, et il fut reconnu qu'ils étaient morts de froid, (quoique ce fut en été) mais que les tous petits enfants ont besoin de s'approcher de la chaleur animale, de la mère ou de la nourrice ; et j'ai remarqué depuis que lorsqu'un enfant criait en l'approchant de soi, il se calmait. J'ai vu cet établissement de Mousseau avec Vicq d'Azyr, il y mettait un intérêt extrême, tout était propre, les berceaux étaient élégants comme il appartient aux expériences des reines, mais la chaleur animale manquait, et toutes ces caresses, tous ces embrassements de mères, tout ce bonheur à presser l'enfant contre son coeur, ces bras qui l'entourent toujours, lui sont aussi nécessaires que le lait et l'air. Voilà ce que je te prie de dire au Dr Hamilton.
Vicq d'Azyr était convaincu de tout ce que je te conte là. Quant à l'eau froide, je n'y dis rien, c'est l'usage en Angleterre et cela ne dure qu'une minute. Cependant, j'ai ouï dire à Hume même qu'il y avait beaucoup d'enfants à qui cela avait fait bien du mal, mais le Dr Hamilton a si bien traité Marguerite que si j'étais près de vous non seulement, je ne deviendrais pas folle, mais j'aurais en lui une confiance entière et aveugle, telle que tout ce qu'il ordonnerait me paraîtrait une voix de la Providence. Notre pauvre petite a donc déjà un quart d'heure de chagrin tous les matins ! C'est trop pour nous qui la voudrions si heureuse. Mais Diieu veuille que par la suite tous ses jours soient ainsi dispensés et qu'il n'y ait qu'une minute de peine contre des heures de bonheur. Pauvre petit ange, comme je le presserai contre mon coeur, et avec quelle tendresse, quelle ferveur je prierai le ciel de la rendre aussi heureuse qu'il est accordé à notre faible nature de l'être dans ce méchant monde. Je suivrais tes instructions pour M. Elphinstone et pout l'ami de Fata. Qaunt à celle-ci, je me doutais de cela.
Je te quitte pour écrire à Marguerite et je t'embrasse de toutes les forces de mon âme, mon bon et cher enfant. Tu es né le jour où l'on ferait des réjouissances publiques pour la naissance de ce pauvre petit dauphin mort au Temple. Certes je ne croyais pas alors que tu fusses destiné à être tellement plus heureux que lui ; espérons donc que notre petite sera aussi heureuse que si son grand' père lui avait assuré toute sa fortune. Un bon père, une bonne mère, voilà ce qu'il lui faut et ce qu'elle a. Je t'embrasse et vous bénis tous les trois.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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