Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
2 novembre 1818

Tu me fais peur avec ta crainte que Marguerite n'ait un autre accident, qu'elle se fasse soigner au poignet, le petit docteur, lors du premier, quand je lui ai dit qu'elle n'avait point de vaisseaux apparents, me disait : Mais il faut la soigner au col, je sens que cela est effrayant, mais au poignet cela me paraîtrait facile et simple. Cela ferait bien plus d'effet que les sangsues qui ôtent bien en effet une certaine quantité de sang mais ne détournent pas la colonne de sang qui se porte où elle ne doit pas aller, procure ce qu'on appelle des pertes intérieures, qui finissent par emporter l'enfant. Enfin je voudrais bien donner mes deux bras à saigner pour elle. Cependant, si de la saigner au poignet est impossible, les sangsues valent mieux que rien. J'y ajouterais de mettre ses mains et ses bras dans de l'eau bien chaude tous les matins. C'est ce qu'on prescrit ici aux femmes d'un certain âge pour déranger ce qu'on appelle la colonne de sang. Mon Dieu, que ce désir, que cette passion que j'ai pour l'arrivée de mon petit enfant sans malheur ; pour la santé de ma chère fille me fait dire des choses incongrues ; qu'elle me le pardonne, c'est mon désir, ma passion, qu'elle se rétablisse par une heureuse couche qui m'entraînent ; mais au surplus ma bien chère fille, je vous adresserai cette lettre que j'avais commencée pour lui et vous n'y laisserez point jeté son regard masculin si tel est votre bon plaisir.
Ménagez-vous bien ma bien chère fille, ne mettez pas pied à terre aux époques, faites-vous mettre des sangsues avant. Enfin amenez-moi un petit enfant bien gentil et que je bénisse avant de mourir.
Avez-vous reçu votre ouvrage ? Que je voudrais vous tenir compagnie près de votre chaise longue où je sens tout l'ennui que vous devez éprouver.
Décidément, nous ne voulons point de Charles que vous ne soyez accouchée. Une lettre n'aurait qu'à tarder, l'inquiétude vous causerait un accident. D'ailleurs, vous verrez par la chute de nos fonds, en trois jours, par les nominations, que les ministres vont avoir fort à faire... Ils seraient charmés d'avoir un petit hommage à offrir au P.R. qui dirait mieux que jamais : C'est fléau qui a tout fait. D'ailleurs, ce fléau ne pourrait s'empêcher de voir ses anciennes connaissances et il vaut mieux attendre que la Chambre ait montré quelle attitude elle aura avant d'arriver. Tel est l'avis de tout le monde. Des ultras girardins, des constitutionnels, et même des tendances au républicanisme. Le Roi est personnellement désolé de l'élection de M. de La Fayette. Sa haine pour lui date de l'affaire de M. Favras. C'est de toute la France l'homme qui pouvait lui être le plus désagréable. Sir Hew vient de perdre son frère qui a été noyé, il en est bien triste. Le grand duc Constantin est logé chez Mme de St-Aulaire à l'hôtel de S... Il n'a pas encore imaginé de lui faire une visite mais en récompense, le Roi de Prusse est très assidu près d'elle. Nos Princes ont été faire une visite à ce grand duc, ils y ont trouvé Marmont, et tout le temps de cette visite, son Altesse, sauvage, qui ne se dit être qu'un soldat n'a pas cessé de demander, par leurs noms, qu'il savait mieux que les... , des nouvelles de tous nos anciens généraux, et à chaque nom, elle faisait un éloge de leur bravoure, de leurs mérites. C'était, dit-on, assez amusant.

Le froid qui commence à se faire sentir me pince le côté.
On nous dit que lady Jersey va venir ici passer l'hiver, qu'elle y tiendra une grande maison des fêtes, des bals, alors elle verra qui elle voudra ; quoique les ultras tremblent de colère à son nom. En parlant d'ultras, il n'y en a qu'un d'élu dans ce renouvellement du 5ème de la Chambre .
Adieu mes bons, mes chers amis, puissent toutes les bénédictions du ciel vous arriver. Jamais vous ne serez aussi heureux que mon coeur le désire. Je vous embrasse de toute mon âme.
Sur toutes choses, ma bien chère fille, ne mettez pas vos jambes ni vos pieds dans l'eau. Cela seul vous ferait faire une fausse couche. Mes compliments à l'amiral Flemming. Je n'ai pas encore su qui m'a envoyé les Schall noir.
Mes bons amis, je vous embrasse encore de toute mon âme. Ma fille, ma chère fille, ménagez-vous, portez-vous bien. C'est la plus grande marque d'amitié que vous puissiez me donner quand vous vous mettez sur votre chaise longue ; quand ce terrible régime vous ennuiera c'est comme si vous disiez à Charles et à moi : Je vous aime. C'est votre santé , votre bonheur, que je vous recommande de toute mon âme.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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