Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
1er janvier 1817

Mon enfant, mon cher enfant, je te souhaite une bonne année, d'abord meilleure que la dernière, ce qui ne sera pas difficile, et puis meilleure que toutes celles que tu as déjà passées où tes malheurs n'étaient cependant que des contrariétés et où nous nous plaignions, insensés que nous étions ; que nos chagrins d'alors nous paraîtraient légers aujourd'hui. Que cette année, par toutes les séparations, toutes les pertes que nous avons éprouvées, a été plus cruelle que toutes les autres. Enfin, résignons-nous et peut-être est-ce déjà un grand bien que d'avoir mis la résignation à la place de l'impatience. Cependant je me pendrais si je croyais passer toute cette année sans te voir, mais je désire fort que ce ne soit pas encore dans quelques mois.
M. de R. est très irrité contre toi, mais on travaille à l'éclairer. Je te manderai quand on y aura réussi. En attendant, la société est affreuse, les partis plus séparés plus exaspérés que jamais. M. de Girardin A. m'a fait dire qu'il avait parlé à M. de Cases. J'ai des raisons pour en douter mais je saurai cela la semaine prochaine et je te le manderai. En attendant, voici une lettre de lui que sa femme m'a apportée en me disant qu'elle contenait les choses les plus importantes et qu'elle me priait de l'envoyer par une occasion sûre et point française. Quand tu auras lu cette lettre, je présume que tu penseras comme moi que l'important était qu'on ne vît point à la poste qu'il t'écrivait. Ah! mon Dieu, ce que c'est que le monde ! Et encore si l'on veut y vivre tranquille faut-il bien prendre garde à reconnaître les gens quand on les rencontre dans la rue, et ne pas les connaître quand on les voit dans sa chambre. Mais quittons ou plutôt étouffons toute cette misanthropie.
J'ai eu un vrai chagrin, le beau Franconi est mort. Je t'avouerais que je lui ai accordé quelques larmes. C'est toi qui me l'avais donné. C'est le premier présent que tu m'avais fait. Je l'avais tant soigné ; enfin, il n'y a plus les petits chevaux dont on parlait avec tant de respect . Papa veut vendre le normand pour acheter deux gros boul... que je ne me ... ni d'aimer ni de soigner et qu'il puisse faire attendre à la comédie tant que bon lui semblera. A la bonne heure ! Mais c'est toujours une grande ingratitude de vendre ce pauvre vieux normand qui nous a si bien servi. J'aimerais mieux le faire tuer que de le savoir malheureux et peut-être de le rencontrer un jour à un fiacre. Si jamais je suis riche, j'aurais mes prés où mes vieux chevaux finiront tranquillement leurs jours.
Après cette homélie en l'honneur des petits chevaux, je te dirais que je t'envoie ci-joint un almanach pour M. Debourck, et que je porterai demain matin à Lignereux mon petit encrier en bronze et malakite que Mme Demidoff m'a donné pour mes étrennes et qu'il me semble que tu placeras très bien sur la table de cette personne si noble, si aimable, et que je voudrais bien connaître. Il est impossible de trouver ici la boîte que tu désires pour Mme de Bourcke ; j'en suis désolée mais on a fait tous les m. de Paris.
M Becquet, conseiller d'état chargé de défendre la loi sur les élections, a été avec le Conseil d'Etat faire la révérence du jour de l'an au Roi et à la famille royale. M. le duc de Berri lui a dit : La loi sur les élections est détestable, et si elle passe, elle ne tiendra pas. Voilà, j'espère, de l'indépendance d'opinion qui s'établit jusqu'au neveu du Roi qui dit sa pensée publiquement.
Le Roi a reçu, mais assis, sa goutte ne lui permet pas encore de se lever ni marcher.
Réponds-nous donc si Mr T... t'a remis une lettre et s'il t'avait reçu celle que M. Gal... avait laissé chez lui, pour qu'il la portât en Angleterre. Nous sommes inquiets de cela et M. Gal... te prie instamment de répondre tout de suite.
Ce M. Miot auteur de la campagne d'Egypte est frère du Miot ami de J.B. C'est un fort honnête homme qui était commissaires des guerres en Egypte. Son ouvrage est estimé. L'ami de J... est aussi un fort honnête homme, et tous deux gens d'esprit, d'instruction et versés dans les affaires.
Aug... te souhaite une bonne année et dit : Mon ami Charles, viens donc. Voilà toute son éloquence.
Ton premier cheval a les jambes et les cuisses si gorgées que malgré 7 sétons (je ne sais pas comment s'écrit ce beau ...) il est impossible qu'il revienne .
Le gros greffenelle dit que l'emprunt se fera en Angleterre ; d'autres disent que non. Qu'en penses-tu ?
Mon Dieu mon enfant que je t'aime, c'est plus que ma vie. Adieu ma vie ; papa vivra à Palmela . Gabriel a donné à Auguste plein la maison de joujoux et le petit en croisant ses mains, a crié : Voilà un homme ... !

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dernière modification : 26 décembre 2019
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