Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
14 septembre 1816

Point de lettres de toi ces deux derniers courriers, mon cher enfant, cela me rend bien triste. Mlle Berry m'a dit que tu étais sûrement chez son cousin. C'est une vraie bas bleue, elle écoute pour répondre ; on voit qu'elle attend où elle pourra trouver le jour à mieux ou plus dire et l'oreille la plus complaisante doit être pour elle l'esprit le plus remarquable. Du reste elle me paraît un petit brin républicaine et elle condamne comme imbécile de naissance tous les Rois et Princes nés et à naître. Elle part lundi pour Marseille pour mener son vieux père retrouver un peu de chaleur dans un pays dont elle ignore que Mme de Sévigné disait : J'y ai vu cent mille âmes, qu'elles soient toutes bonnes, je ne le crois pas, l'air m'y a paru un peu scélérat . On trouve tout dans Mme de Sévigné, que par parenthèses Mme de Staël n'a jamais pu aimer, et dont elle n'a pu lire, m'a-t-elle dit que 40 lettres ; je l'en plains fort.
J'ai été ce matin voir Eglé qui passe par Paris en allant en Italie. Je ne l'avais pas vue depuis son malheur ; elle m'a paru fort animée contre la quantité d'ingrats qu'elle a trouvée : F... en est ; pas une ligne d'elle, ni à elle, ni à sa tante. Elle m'a conté des détails d'ingratitude qui font horreur . Ah ! mon pauvre ami, quand je pense à moi, je trouve bien à réprendre, mais quand je regarde les autres, je m'admire ! Ceci soit dit entre nous, Eglé m'a chargée de mille choses pour toi, et à travers ses larmes elle a voulu que je t'envoyasse de la musique de son cousin qu'elle m'a dit être superbe et devoir aller à ta voix. Je me suis en allée étonnée d'emporter ensemble ma tristesse et de la musique, mais c'est que moi, je la voyais pour la première fois ; j'éprouvais un sentiment comme d'un malheur nouveau, et qu'elle aimait à se rappeler des jours de jeunesse et de gaieté où vous chantiez ensemble. Enfin elle m'a bien chargée de te parler d'elle.
Casimir veut aller passer 15 jours à Londres, il te demande quand tu y seras ? Voilà ma commission faite. Il a du moins le rare avantage d'être toujours bien pour ses amis ; la reconnaissance, l'amitié sont des vertus stoïques aujourd'hui.
Mon Dieu, que je suis dégoûtée de la vie, j'en ai par-dessus la tête.

Henriette est dans un petit moment de bonheur , son frère est retourné la voir, son cousin, sa cousine qui fait tant de grimaces y ont été aussi. Sais-tu qui a été à merveille pour toi, m'offrant sa masion quand tu étais à Lyon, c'est ton cousin Favernage. Pour le Dutillet, je n'en ai jamais entendu parler, ce qui est d'autant plus extraordinaire que lorsqu'il était en prison sous le Consulat, il n'en est sorti que sur une lettre de M. Gallois, alors tribun, qui répondait de lui , et que son amitié pour moi lui fit donner ce dont il n'avait pas grande envie. Comment est-on comme cela ? Je ne le connais pas. Ah que l'hypocrisie serait une belle vertu aujourd'hui. Enfin je suis dans mes idées les plus noires et je remets à finir ma lettre à demain car je ne veux pas faire passer dans ton âme tout ce qui oppresse la mienne.
Je t'embrasse, mon cher enfant. Ce 16 je viens de passer quatre heures à écouter l'examen critique (ne me réponds pas sur cela) du Camoëns, et cela ne me laisse que le temps de t'embrasser et te dire que je t'aime de toute mon âme.

Ce jeudi. Que je t'aime, mon bon, mon cher ami, et que la vie m'est déplaisante. Je suis très bien pour A. Girardin toutes les fois que je le vois.
Corb... est à Nogent. Quand M. Fiévé était en Angl... , il n'avait fait que des ouvrages littéraires dont un charmant ; c'est comme un homme de lettres distingué que je l'avais présenté, je m'en suis bien repentie depuis lorsque j'ai vu son entrée dans le ballet politique. Dis-le bien à lord Holland, du reste comme nous autres auteurs nous nous flattons car M. Fiévé est très en bon procédé pour moi. Voilà toute l'histoire.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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