Lettres d'Adélaïde de Souza à Charles de Flahaut, son fils
(CHAN 565 AP 9)
14 octobre 1816

C'est M. Aberomby (?) qui te remettra cette lettre mon enfant. Il te racontera l'état de la France et t'invitera fort à rester où tu es. Les partis s'échauffent d'une manière qu'il est impossible qu'on n'en vienne pas à quelque explosion cet hiver, surtout le pain augmentant comme il fait et les récoltes étant mauvaises partout.
Les ministres ont envoyé aux préfets des listes de ceux qu'ils désiraient pour députés et de ceux qu'ils voulaient exclure . Les ultras crient partout que c'est un despotisme que Napoléon lui-même n'a jamais exercé. A Beauvais, le préfet ayant montré au duc de Fitz-James ces lettres contresignées Louis, ce duc a rassemblé son parti et au nombre de 82, ayant reconnu que la liberté du suffrage n'existant plus, ils ont signé une protestation et s'en sont allés chacun chez eux. A Lille, M de Bethiry (?) a écrit une agissante en ultras, pour savoir s'il serait élu ne voulant point aller dans son département pour s'exposer à l'humiliation d'être rejeté (il y avait à le craindre) La dame n'a rien su de mieux que de s'adresser à M. de Mery (?) , préfet qui a eu la bêtise de lui répondre par écrit, les motifs par lesquels, d'après la charte, d'après le voeu du Roi exprimé par le ministère, et d'après son propre désir du bien et repos public, il s'opposerait de toutes ses forces à l'élection de M. de Bethiry. Ce dernier a alors écrit une lettre très offensante pour M. de Mery qu'il a fait imprimer et répandre parmi les électeurs. M. de Mery y a répondu par une autre lettre imprimée et répandue chez tous ceux qui avaient reçu la première. Les ministres ont écrit au nom du Roi pour envoyer la liste positive et négative à M. Germain, préfet, celui-ci a eu la simplicité d'envoyer copie de cette lettre aux électeurs et donc ceux que le Roi défendait d'élire. Se trouvait en tête M. Berthier du Sauvigny, colonel d'un des régiments de la Garde royale, ce monsieur s'est procuré une de ces lettres, affecté de ne pas croire qu'il soit possible qu'elle soit du ministre, dit que c'est une insulte personnelle que M. Germain lui a faite et est venu lui en demander raison. J'ignore comment un préfet répond dans ce cas-là . A Toulon on s'est battu , à Toulouse aussi. Il y a trois jours le Roi a demandé à M. de Viomenil pourquoi il ne le voyait plus ? - Sire, j'ai eu l'honneur de faire ma cour à V.M. demander - oui, mais le soir. - Sire, je ne pensais pas que V.M. daignât s'en apercevoir ! - Hé bien, que pensez-vous de mon ordonnance du 5 ? - Dès que le Roi a pris une détermination, je la crois pesée dans sa sagesse et je ne me permets pas un examen ni une réflexion - Voilà qui est bien pour le respect qu'on doit au Roi, mais je vous demande comme à un homme qui m'est anciennement attaché ce que vous en pensez ? - Sire, V.M. peut voir à la joie qui règne sur le visage de ses ennemis et à la consternation de ses fidèles sujets ce qu'elle doit penser de cette ordonnance. Sur cette réponse le Roi lui a tourné le dos et a cessé de lui parler.

La veille du jour où cette ordonnance a paru, Monsieur et Madame ont forcé la chambre du Roi à minuit pour le supplier de la révoquer. Vous nous perdez, lui ont-ils dit, déjà le peuple français et même les étrangers disent que cela ira ainsi tant que vous existerez mais qu'après vous l'on ne voudra plus de nous et votre ordonnance, nous dirigeons ainsi que notre parti à la haine française. Madame s'est mise à genoux, et le Roi a tenu à son ordonnance dont on assure cependant qu'il commence à se repentir. M. de Chateaubriand fait un autre ouvrage qui sera dit en beaucoup plus fort que longuement , c'est un très grand secret.
A Strasbourg, les ultras ne pouvant faire élire un des leurs ont donné leurs voix au Roi de Prusse. Le fait est que le Roi est amoureux, sérieusement parlant, de Mme Princetant , mais comme elle porte un nom qui n'était pas connu dans la science héraldique, on prétend qu'il ne la nomme que madame Pincetout. Fi donc, c'est affreux ce que je te dis là, mais c'est de l'histoire. Elle lui apporte tous les matins des quatrains, acrostiches, bouts rimés, qu'elle prétend avoir fait pour lui dans la nuit et qu'il corrige en s'émerveillant de tant d'amour et d'esprit.
Les ultras prétendent que le ministère n'a la majorité que de 5 voix et qu'ils les empêcheraient bien d'agir se retirant toutes les fois qu'il y aura une délibération contraire à leur principes. On assure ici que le ministère anglais est très courroucé contre le Prince d'Orange. Il paraît que ce jeune Prince a pris en Russie des idées d'agrandissement et de despotisme qu'il voudrait bien effectuer. Les premiers despotes ... ne voulaient établir l'arbitraire que pour être maître de faire le bien plus promptement et plus sûrement mais les successeurs en usent à leurs fantaisies. J'ai ouï dire au comte de Vergennes qu'il n'y avait pas de gouvernement plus sage et de nation plus heureuse que de vivre sous un petit despotisme.

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dernière modification : 26 décembre 2019
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