année 1849
Le 10 avril 1849

Lettre au Prince Napoléon-Jérôme

Le Président de la République adresse au Prince Napoléon-Jérôme, ambassadeur à Madrid, la lettre suivante :

Mon cher cousin,

On prétend qu'à ton passage à Bordeaux tu as tenu un langage propre à jeter la division parmi les personnes les mieux intentionnées. Tu aurais dit que, "dominé par les chefs du mouvement réactionnaire, je ne suivrais pas librement mes inspirations ; qu'impatient du joug, j'étais prêt à le secouer, et que, pour me venir en aide, il fallait, aux élections prochaines, envoyer à la Chambre des hommes hostiles à mon gouvernement, plutôt que des hommes du parti modéré."
Une semblable imputation de ta part a le droit de m'étonner. Tu me connais assez pour savoir que je ne subirai jamais l'ascendant de qui que ce soit, et que je m'efforcerai sans cesse de gouverner dans l'intérêt des masses et non dans l'intérêt d'un parti. J'honore les hommes qui, par leur capacité et leur expérience, peuvent me donner de bons conseils ; je reçois journellement les avis les plus opposés, mais j'obéis aux seules impulsions de ma raison et de mon coeur.
C'était à toi moins qu'à tout autre de blâmer en moi une politique modérée, toi qui désapprouvais mon manifeste, parce qu'il n'avait pas l'entière sanction des chefs du parti modéré. Or, ce manifeste, dont je ne me suis pas écarté, demeure l'expression consciencieuse de mes opinions. Le premier devoir était de rassurer le pays. Eh bien ! depuis quatre mois il continue à se rassurer de plus en plus. A chaque jour sa tâche ; la sécurité d'abord, ensuite les améliorations.
Les élections prochaines avanceront, je n'en doute pas, l'époque des réformes possibles, en affermissant la République par l'ordre et la modération. Rappeler tous les anciens partis, les réunir, les réconcilier, tel doit être le but de nos efforts. C'est la mission attachée au grand nom que nous portons ; elle échouerait, s'il servait à diviser et non à rallier les soutiens du gouvernement.
Par tous ces motifs, je ne saurais approuver ta candidature dans une vingtaine de départements : car, songes-y bien, à l'abri de ton nom on veut faire arriver à l'Assemblée des candidats hostiles au Pouvoir, et décourager ses partisans dévoués, en fatiguant le peuple par des élections multiples qu'il faudra recommencer.
Désormais donc, je l'espère, tu mettras tous tes soins, mon cher Cousin, à éclairer sur mes intentions véritables les perconnes en relation avec toi, et tu te garderas d'accréditer par des patoles inconsidérées les calomnies absurdes qui vonst jusqu'à prétendre que de sordides intérêts dominent ma politique. Rien, répète-le très-haut, rien ne troublera la sérénité de mon jugement et n'ébranlera mes résolutions. Libre de toute contrainte morale, je marcherai dans le sentier de l'honneur, avec ma conscience pour guide : et lorsque je quitterai le Pouvoir, si l'on peut me reprocher des fautes fatalement inévitables, j'aurai fait du moins ce que je crois sincèrement mon devoir.
Reçois, mon cher Cousin, l'assurance de mon amitié.

Louis-Napoléon Bonaparte

retour sur "documents Louis-Napoléon-Bonaparte"



 

dernière modification : 26 décembre 2019
règles de confidentialité